Bébé à 3 parents et 4 ADN
En complément à cet article, mon intervention sur ce même thème sur France inter (la Tête au carré) le 28 septembre 2016.
La tête au carré, France Inter
Mediapart
29 septembre 2016
Encore une première médicale ! Des biologistes de New York ont obtenu la naissance au Mexique d'un enfant apparemment sain, dont la mère est porteuse d'une grave maladie mitochondriale (syndrome de Leigh). C'est la mère qui transmet les mitochondries, lesquelles produisent l'énergie dans toutes les cellules du corps, mais leur ADN peut-être atteint de mutations, comme il arrive avec l'ADN des chromosomes. Dans ce cas l'enfant héritera de la maladie maternelle, transmise par les mitochondries apportées par l'ovule. La solution médicale discutée depuis une vingtaine d'années serait de substituer aux mitochondries déficientes d'autres mitochondries issues de l'ovule d'une femme donneuse. Deux stratégies ont été tentées pour cela: la première consiste à remplacer le cytoplasme de l'oeuf (qui contient les mitochondries) afin d'obtenir un embryon indemne par « transfert cytoplasmique »depuis un ovule sain. Cette voie, utilisée aux Etats-Unis hors pathologie pour « revivifier » les ovules de femmes âgées, aurait permis des naissances d'enfants bien portants mais aussi d'enfants porteurs d'anomalies et a été abandonnée. La seconde stratégie consiste à placer l'ADN nucléaire dans un ovule indemne d'anomalies mitochondriales. C'est celle qui a conduit à cette nouvelle première dans la série des « bébés à 3 parents ».
Dans ce « succès », deux éléments du bref article (John Zhang et al, New Scientist, 27 septembre) n'ont pas été relevés par les commentateurs. Le premier est que 3 des 4 embryons obtenus avaient une composition chromosomique anormale (aneuploïdie). Ce fait peut-être rapproché de la méthode utilisée : les auteurs n'ont pas transféré dans un ovule sain le noyau d'un ovocyte mais les chromosomes tels qu'ils sont organisés hors de toute structure nucléaire dans un ovule mûr (métaphase de seconde division méiotique). Dans cette configuration, les chromosomes sont alignés sur un réseau de fibres, constituant un ensemble instable sensible à tous les stress physiques. C'est cette situation qui nous avait fait refuser la congélation des ovules dans les années 1980, des aneuploïdies ayant été rapportées suite aux mouvements osmotiques intracellulaires qui accompagnent l'adjonction de substances cryoprotectrices, un phénomène annulé par les techniques actuelles de congélation ultra rapide.
Le second élément est la présence dans l'embryon « normal » de mitochondries à ADN muté, apportées dans l'ovule sain en même temps que les chromosomes. Même si, selon les auteurs, elles ne représentent que 5% des mitochondries embryonnaires (et plus tard 1,6% des mitochondries du bébé), on ignore les conséquences éventuelles de cette mixture d'ADN mitochondrial. Des résultats inquiétants ont été obtenus par des chercheurs espagnols chez la souris (Nature, 28 juillet 2016), montrant que l'ADN mitochondrial de la donneuse doit être génétiquement proche de celui de la receveuse pour éviter des altérations métaboliques et le vieillissement prématuré.
Les praticiens et les médias parlent de bébé à 3 ADN pour qualifier l'enfant qui hérite des ADN nucléaires de son père et de sa mère et des mitochondries d'une donneuse. Tout enfant est « à 3 ADN », même l'enfant traditionnel « à 2 parents », en ce qu'il reçoit les mitochondries maternelles. Mais ici il s'agit plutôt d'un bébé à 4 ADN puisque les mitochondries sont de deux origines.
Encore une fois, l'exploit est médiatisé avant une véritable publication scientifique mais celle-ci ne manquera pas d'arriver. John Zhang se justifie en prétendant que l'éthique consiste à « sauver des vies »mais quelle vie fut sauvée ici ? Et quel risque fut pris de créer une vie de souffrance ? Comme dans toutes les voies aventureuses qui nourrissent la bioéthique, on doit se demander où placer la limite à l'artifice procréatique c'est à dire reconnaître qu'il est des situations où l'enfantement n'est pas souhaitable.