Futuribles , juillet-août 2016

Contrairement aux approches spiritualistes du transhumanisme libéral-libertaire né dans la Silicon Valley, les auteurs, responsables de l'Association française transhumaniste (Technoprog), revendiquent leur appartenance au  technoprogressisme  matérialiste et « de gauche », courant transhumaniste qui serait aujourd'hui majoritaire et dont ils vantent « l'hyperhumanisme ».... La tournure néolibérale actuelle du développement technologique ne serait pas inéluctable écrivent ces fanatiques de la technologie qui semblent oublier que l'accélération du progrès qu'ils souhaitent va de pair avec l'idéologie qui met chercheurs et entreprises en compétition et privatise la connaissance ! Que peut signifier alors la revendication d' « un autre transhumanisme, démocratique et responsable » ?

Sous prétexte que l'usage de la technique « fait partie de la définition de l'humain », les auteurs affirment que « tout humain est en même temps un transhumain ». C'est poser que la technique suffirait à nous définir... en oubliant que bien des animaux connaissent des techniques. Cette réduction de l'humain à ses techniques autorise à la fois la réification des personnes et la dévotion aux technologies, les deux mamelles du transhumanisme lequel se croit ainsi dédiabolisé puisqu'il n'ambitionne que d'amplifier le recours « naturel » de l'homme aux technologies...Les auteurs se présentent d'ailleurs comme écologistes (malgré leur foi dans le nucléaire, les OGM ou les nanos...) et en appellent à l'éthique (afin d'« ouvrir le débat ») pour que les pouvoirs publics empêchent les dérives du transhumanisme, mais en omettant que la technoscience est un outil pour gagner les compétitions économiques, ce que revendiquent les transhumanistes orthodoxes (1).

Les principales promesses du transhumanisme sont examinées. A propos de la durée de vie illimitée, et sous prétexte qu'une vie longue supprimerait l'urgence de la procréation (qu'en disent les mouches qui sèment des œufs innombrables durant une vie très brève ?...), le risque de surpopulation est éliminé des prévisions de Technoprog, d'autant qu'existerait « un lien étroit entre espérance de vie et nombre d'enfants par femme », lien qui omet la relation plus triviale de ces deux facteurs avec le PNB ! Convenons plutôt que, à l'extrême, l'immortalité suppose un cumul sans fin du nombre des vivants, c'est à dire une augmentation illimitée de la population...L'intelligence artificielle rassemble les espoirs transhumanistes les plus crédibles, mais c'est en réduisant l'intelligence à la puissance de calcul, laquelle est en progrès exponentiel. Alors,« A chaque liaison entre les cellules neuronales se substitue une liaison informatique, jusqu'au jour où tout est remplacé » ! Et, comme le génie génétique l'a montré pour l'ADN, il « n'est pas nécessaire de comprendre entièrement un mécanisme (le cerveau) pour pouvoir le modifier », même si la précaution voudrait que, chez l'homme, on n'y touche pas avant d'avoir tout compris... Modifier est aisé mais toujours aléatoire et le principe de « proaction », que les auteurs proposent (« aller de l'avant pour résorber le risque et résoudre ses conséquences ») - et qui n'est rien d'autre que le principe de précaution bien compris- est-il compatible avec ces essais d'humanité ? Nous sommes sommés de condamner le « refus de reconnaître en tant que personnes les futures entités artificielles » ! Technoprog exige ainsi l'égalité universelle entre hommes et robots... ce qui devrait correspondre au droit électoral des machines ! Car,« intégrées socialement, ces 'personnes' seraient incitées à agir avec mesure, précaution et respect des autres... ». Ces gens sont-ils des rêveurs imbéciles ou de sacrés pervers  capables d'identifier une personne dans un amas de métaux et de plastique ?Au titre des progrès à venir, « le cyborg remet en question la distinction homme-machine et rend éventuellement caduque la distinction homme-femme »...Quels progrès faudrait-il voir dans ces indifférenciations de l'inerte et du vivant, de l'humain et de l'animal, et dans la confusion des sexes !Dans un autre domaine, « la fabrication de bébés sur mesure ne priverait pas l'enfant conçu de ses libertés fondamentales », sans doute, mais avec quelles obligations de perfection  et dans quel univers de relations sociales ?

Pour chacun de leurs thèmes les transhumanistes n'envisagent l'homme qu'isolé du monde qui l'entoure alors qu'il est une créature sociale. Favorables à l'eugénisme, les auteurs notent étonnamment qu' « il demeurera toujours une part d'inconnu, donc d'indéterminé », suggérant ainsi que nos actions sur le génome ne pourraient être que des expérimentations humaines ! Pour empêcher les dérives du clonage en série, ils revendiquent la reconnaissance de la « dignité humaine »alors même qu'ils exigent les mêmes droits pour les hommes et les robots produits en série !...Quant à la GPA (« gestation pour autrui », dont il faudrait croire à l' « extrême générosité »), ils écrivent qu'elle « ne devrait pas poser davantage de problèmes que l'adoption », ce qui est un propos de mécanicien ignorant l'assujettissement de la femme porteuse, la séparation programmée dès la naissance et l'implication des professionnels de santé. C'est l'utérus artificiel qui mérite les plus longs développements sans même que soit évoquée la greffe utérine, pourtant déjà fonctionnelle chez la femme et possible chez l'homme. Technoprog assure aussi que les hommes deviendront capables de « fabriquer et reprogrammer la plus grande partie possible de leur propre corps grâce à l'utilisation de l'impression 3D » . Mais cette autonomie qu'ils imaginent contredit le constat de dépendance croissante aux spécialistes, imposé par chaque nouvelle technologie. Enfin, les auteurs développent l'intérêt de techniques et substances dopantes pour le sport de compétition, « selon l'appréciation des arbitres de ce sport ». Proposons plus simple : supprimer le sport professionnel et ses compétitions !
Les auteurs entretiennent la confusion entre deux courants de pensée opposés au transhumanisme : le dogmatisme religieux réactionnaire et l'humanisme non technophile et leurs arguments ne répondent pas aux seconds qui s'opposent à la dégradation de la condition humaine dans un monde privé de repères et de limites. Technoprog nous promet littéralement le Paradis : un monde où la vieillesse et la maladie seraient inconnus, où les humains plus ou moins cyborgs s'épanouiraient hors « la guerre, la corruption, l'exploitation inique, l'indifférence, mais aussi la dominance quotidienne... ». A cette béatitude scientiste, le chapitre consacré à « l'humanité + » ajoute la naïveté politique : la gouvernance démocratique n'exigerait que « l'accès inconditionnel à l'information » sans que soit évalué comment les divers lobbies pourraient manipuler cette information et donc la décision. Technoprog assure que les réfractaires au transhumanisme seront respectés et laisse croire que cela sera possible comme si, par exemple, il était aisé dès aujourd'hui de refuser la prothèse du smartphone.

Le destin transhumaniste développé ici n'est pas un projet d'humanité mais une mise en condition pour la robotisation généralisée.
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(1) Voir ma recension du livre de Laurent Alexandre