Analyse du livre de Guy Vallancien : La médecine sans médecin ? Gallimard 2015
Futuribles, octobre 2015
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Voilà un livre de combat. Combat pour le progrès, c'est à dire pour l'innovation à tout prix, même au prix de la précaution , combat pour l'industrie du soin contre l'artisanat médical, pour le traitement de malades sans symptôme c'est à dire pour la surmédicalisation, surtout informatisée , pour l'homme augmenté grâce à Google , combat pour que la recherche soit officiellement pilotée par l'industrie, pour les OGM et les gaz de schistes, etc.
Guy Vallancien est chirurgien urologue, comme Laurent Alexandre dont nous avons analysé l'ouvrage ( ). Il doit y avoir dans cette spécialité une source de messianisme unique et décomplexé puisque ces deux livres représentent ce qui se fait de plus osé en France dans l'apologie du transhumanisme. On retrouve ici des obsessions communes aux deux médecins, ainsi une nouvelle mouture du péril jaune ( l'Asie va nous écraser par ses technologies), l'inconscience totale devant les graves atteintes à la planète, la tranquille assurance que le progrès technique est l'unique solution à tous nos problèmes, et l'espoir d'une vie enfin débarrassée du fatras des cultures et de l'Etat providence.
Pour ce combat, il faut bien désigner un ennemi. C'est « l'anti-science », ces groupuscules qui critiquent « pêle-mêle la conspiration du grand capital, l'industrie ravageuse, les experts corrompus et les élus incapables ». Sous l'apparence de préoccupations médicales il s'agit d'un livre politique clairement ancré sur des valeurs de droite, ce qui est légitime mais jusqu'au point où la démonstration exige des arrangements avec la réalité.Guy Vallancien évoque un « déferlement de mensonges ...par ceux qui doutent des bienfaits de la science ». Il est permis de croire, comme lui, aux avantages pour l'humanité de la « ferme modèle robotisée », des usines à bébés, de la globalisation des marchés ou de l'intelligence artificielle, mais la défense des plantes transgéniques, en reprenant des arguments démontrés fallacieux depuis longtemps, contredit sa revendication de « la seule vérité scientifique comme guide ». Il moque « l'intégrisme écolâtre » qui prétend que « l'apocalypse planerait sur notre pauvre planète soumise au diktat de la finance aveugle »sans démontrer que cette affirmation serait fausse... Il prétend que « Jamais nous n'avons vécu avec plus de denrées dans un univers plus sûr . Il y a de l'eau à foison...» en omettant que ces denrées sont largement utilisées pour nourrir le bétail des riches, et que l'eau se fait rare et polluée.
Sont-ils « anti-science » ceux qui dénoncent les pollutions chimiques, les perturbateurs endocriniens qui créent ou généralisent de nouvelles maladies chroniques ? Ceux qui constatent la disparition accélérée d'espèces animales ou végétales ? Ceux qui prévoient la survenue de nouvelles épidémies suite au réchauffement climatique ? Il est surprenant qu'en cette année cruciale pour l'évolution du climat, les alarmes du GIEC soient ici négligées tandis que le principe de précaution est tourné en ridicule. « Le monde va beaucoup mieux que celui de nos aïeux » estime Vallancien en rappelant les turpitudes historiques, en particulier les épidémies meurtrières, mais il n'évoque pas ce que ces progrès doivent à l'eau courante, à l'hygiène et aux conquêtes sociales, avant de devoir à la médecine moderne. Il rappelle l'augmentation du PIB par habitant depuis 60 ans mais ne tire aucune conclusion du constat que « la situation des pauvres s'aggrave ». Comme pour tous les auteurs qui se rangent sous la bannière transhumaniste, un monde merveilleusement mécanique est promis, mais cette promesse ignore les bouleversements en cours sur la planète, causés par ces développements technologiques qu'il faudrait applaudir sans réserves. Il y a bien contradiction quand l'auteur vante les rendements de l'agriculture industrielle puis, sur la même page, cite « l'utilisation massive d'engrais, de pesticides...au risque de leur rejet dans les rivières et les nappes phréatiques ...» . Croit-il que ces rendements soient principalement dus à « l'informatique et aux technologies de pointe » des agriculteurs modernes?
Donc nous irons « de l'artisanat médical à l'industrie du soin » et, affirme t-il, de même que les voitures sont de plus en plus variées, l'industrialisation de la médecine permettra de la personnaliser. Peut-on y croire à partir de cet exemple qui réduit le patient à une machine ? Puisque la course est engagée, « la réponse à l'obscurantisme n'est-elle pas celle de l'accélération permanente de l'innovation... ? » Un plan en douze points pour la média médecine informatisée et automatisée devrait ouvrir la voie, Vallancien l'écrit sans rire à « un nouveau monde solidaire, collectif et fraternel » !...
Accordons à l'auteur la pertinence de cette remarque : « dans l'Antiquité, la médecine était ignorante, les hommes la sacralisaient. Lorsque, au X1X°siècle , elle devint savante, ils la respectèrent. Aujourd'hui, alors qu'elle est efficace, ils la suspectent ! » C'est exact mais encore faudrait-il se demander pourquoi cette suspicion... Le ton général du livre est un appel à la mobilisation contre un ennemi présenté comme redoutable mais assez justement ramené à l'état de « groupuscules »...Alors que la mégamachine (Serge Latouche) armée par les superpuissances industrielles avance inexorablement, les résistants paraissent bien faibles et démunis pour que soit justifiée l'alarme de Guy Vallancien . Il le proclame lui-même : « Révolution ? Non ! Mutation, vous dis-je, et sans retour... »...Son combat pour la destruction du vieux monde est gagné d'avance mais le risque est qu'il soit remplacé par un monde de chimères.