Le canard des alpages, été 2015.

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Le bien commun c’est à la fois ce qui appartient à tous (l’air, l’eau, la planète…) mais aussi ce qui est favorable à l’épanouissement de tous, comme un certain mode de vie, des règles communes, une innovation, etc. On voit immédiatement que cette seconde catégorie implique des choix parmi diverses possibilités : faut-il favoriser l’agriculture paysanne ou les productions industrielles ? Quelle politique pour le transport des gens et des marchandises ? Faut-il viser la compétition ou bien la coopération entre les personnes, les entreprises, les Etats ? Pour chaque question posée la décision dépend de ceux qui sont autorisés à s’exprimer et de leur pouvoir. Clairement, la démocratie est ici absente, seulement de façade comme avec les consultations du public, puisque la décision exprimée par les élus est issue de la pression écrasante de porteurs d’intérêts particuliers, industriels ou financiers, soutenus puissamment par leurs experts et lobbyistes, tous peu soucieux du bien commun. La société civile peut apporter des contre expertises, mobiliser les populations, mais il est rare que ses options l’emportent, d’autant qu’elle est souvent incapable de définir unanimement ce que serait le bien commun.

C’est pourquoi la fondation Sciences Citoyennes (FSC) a défini une procédure, inspirée du modèle des conférences de citoyens mais imposant des règles strictes afin d’acquérir la rigueur et l’impartialité indispensables pour que les avis émis soient pris en compte par les pouvoirs : avec ces conventions de citoyens on peut recueillir l’avis de personnes dénuées d’intérêts particuliers (tirées au sort), abritées des lobbies (anonymes jusqu’au rendu de leur avis), remarquablement informées (à partir d’expertises contradictoires), bénévoles et sans statut durable (remplacées pour chaque décision), et représentant la diversité socio-économique, toutes conditions qui contrecarrent les perversions actuelles de la dite « démocratie participative ». Les observateurs de centaines de conférences de citoyens recensées dans le monde depuis 30 ans sont unanimes : dans cette procédure s’opère une mutation profonde des personnes « ordinaires » en citoyens responsables et ingénieux : de tous âges, origines, degrés d’éducation, ceux-là se découvrent capables de maîtriser un sujet complexe et proposent des solutions pertinentes qui ne sont pas dictées par leur intérêt personnel. C’est cette double capacité alliant intelligence collective et altruisme que je nomme humanitude (1). La « mission» dont des citoyens tirés au sort sont chargés agit comme un aiguillon émancipateur : c’est souvent l’unique chance qui leur sera jamais offerte de« faire l’intelligent », mais aussi de contribuer fortement à une décision qui concerne toute la population, en particulier en dessinant l’image la plus crédible de ce que serait le bien commun dans une problématique particulière. Au contraire, les procédures participatives (ou électives) en usage nient ces capacités humaines au profit d’une mythologie du savoir intuitif, du bon sens inné qui justifierait qu’il n’est pas nécessaire d’avoir été complètement informé pour porter un jugement valide. Mais, c’est aussi le doute légitime sur la pertinence de ce jugement qui autorise à l’ignorer au profit des avis d’experts… Constatant le potentiel d’humanitude présent chez chacun, comment ne pas s’indigner du sort que la société impose à presque tous, cantonnés dans l’incompétence et l’égocentrisme, comme si le système dit « démocratique » ne survivait qu’en paralysant toute velléité d’autonomie émancipatrice ?


(1) L’humanitude au pouvoir. Comment les citoyens peuvent décider du bien commun. Seuil, 2015