Les Z’indigné(e)s, mars 2014
avec Fabien Piasecki



Puisque les élus sont les représentants du peuple, il importe avant tout qu’ils sachent ce que veut le peuple. Or, il n’existe aujourd’hui aucune procédure capable d’assurer cette fonction essentielle. Une telle connaissance ne peut pas émaner de sondages d’opinion ou même de référendums, sauf si toutes les personnes exprimant un choix pouvaient être préalablement éclairées de façon complète puis disposer d’un recul suffisant pour mûrir leurs avis, ce qui s’avère largement impossible. Par ailleurs, les questions controversées ne peuvent être traitées avec sérieux et sérénité que si toutes les parties prenantes s’accordent a priori sur un protocole générique susceptible de conduire à la « meilleure solution », laquelle deviendrait alors difficilement contestable. Une telle solution, réfléchie et indépendante, pourrait découler de l’avis de personnes dénuées d’intérêt particulier et complètement informées. Comment identifier ces personnes ? Comment les informer complètement ? Là est la première question posée par la démocratie participative, la seconde étant d’établir, dans le cadre de la représentation élective, des clauses qui obligeraient les élus à prendre en compte l’avis des citoyens.

1. produire un avis « objectif »
Le tirage au sort, suivi d’un correctif pour assurer la plus grande diversité, permet de composer un groupe de personnes sans intérêt particulier à défendre, acceptant de s’informer et débattre en vue d’élaborer les propositions qu’elles estiment conformes au bien commun. Un tel protocole est celui des conférences de citoyens inventées depuis plus de 20 ans par le Parlement danois et largement reprises dans le monde entier. Les conférences de citoyens rassemblent, pour une durée limitée, une quinzaine de personnes tirées au sort. Ces citoyens disposent d’informations complètes et contradictoires sur le sujet controversé, et du temps nécessaire pour les analyser et les discuter. Mais il fallait préciser la procédure pour qu’elle évite certains biais (1). L’association pour une Fondation des Sciences Citoyennes (FSC) a produit, en 2007, avec l’aide de juristes et sociologues, un projet de proposition de loi pour des conventions de citoyens (2), dénomination qui marque une clarté méthodologique, laquelle est nécessaire à la reproductibilité et à la crédibilité des conférences de citoyens . En particulier, l’absence de conflits d’intérêts et la non rétribution des citoyens ainsi que l’objectivité de leur formation grâce à des interventions contradictoires (3).
Les observateurs de conférences de citoyens, même imparfaites, relatent souvent avec étonnement la mutation qui s’opère quand une personne ordinaire devient un citoyen investi d’une mission d’intérêt public. L’empathie surgit dans ce groupe où des gens très différents sont amenés à résoudre ensemble un problème, avec l’objectif unique du bien commun . Ces expériences révèlent qu’il existe des capacités écrasées chez la plupart des gens et donc l’immense gâchis d’humanité sur lequel se construisent nos sociétés qui se prétendent démocratiques. Car, s’il existe autant de personnes talentueuses et dévouées parmi les citoyens obscurs, pourquoi abandonner tout le processus de décision à des professionnels de la politique ?

2. prendre en compte l’avis des citoyens
Le bricolage procédural, qui se poursuit de forum en jury, et de consultation en concertation, empêche les décideurs comme la population de prendre complètement au sérieux l'avis précieux qui serait émis par des citoyens dénués d'intérêts particuliers et bien informés. Qu’attendent les parlementaires pour apporter enfin une réponse pertinente à la nécessaire démocratisation des choix technologiques et pour inscrire des règles strictes dans la loi ? Parmi ces règles devrait figurer l’obligation pour les élus de motiver tout désaccord avec les propositions des citoyens afin qu’ils engagent leur responsabilité personnelle dans leurs décisions.

Bien des lois portant sur l’innovation, la santé et l’environnement sont préparées en « procédure accélérée » pour cause d’urgence. L’urgence serait plutôt d’établir un protocole généraliste qui s’appliquerait à presque toutes les questions soulevées par les rapports conflictuels entre les technologies et la société afin de leur donner les réponses correspondant aux choix citoyens plutôt qu’à des intérêts particuliers ou à des paris risqués. A ceux qui s’inquiètent d’une toujours possible malfaçon qui ferait produire par un groupe de citoyens un avis non conforme au bien commun, nous proposons que chaque procédure aux enjeux particulièrement graves soit menée en plusieurs exemplaires afin de s’assurer de la convergence des avis produits. Le coût moyen d’une convention de citoyens étant 5 ou 6 fois inférieur à celui d’un débat public (actuelle référence d’une pseudo démocratie), il serait possible d’obtenir plusieurs avis produits indépendamment afin de valider l’avis de la société.

Les conventions de citoyens permettraient de révéler l’avis de la population sur les innovations mais, en aval, elles constituent aussi un outil disponible pour la programmation de la recherche finalisée : en soumettant à des panels les grandes lignes des orientations pluriannuelles, les priorités budgétaires seraient proposées, en évitant des investissements massifs dans des innovations que la société refuse.Il faut aussi évoquer l’extension possible des conventions de citoyens, hors des controverses technologiques, vers la recherche de solutions à des problèmes proprement politiques. Et rappeler que, pour des thématiques qui concernent l’humanité entière et son environnement, seules des procédures décloisonnées, hors frontières, permettraient de conduire à des solutions conformes au bien de l’espèce.

3. Pour un contrôle qualité : l’OPPRI (Observatoire des pratiques participatives dans la recherche et l’innovation)

Aucun bilan sérieux des expériences de démocratie participative n’est actuellement possible, les organisateurs de ces procédures n’en présentant, au mieux, que le texte final, sans informer sur les modalités du protocole utilisé. Or, la validité des avis dépend évidemment des moyens mis en place pour les obtenir. C’est pour introduire de la transparence dans une pratique en développement désordonné que nous avons, avec plusieurs universitaires spécialisés dans ces questions (4), créé un observatoire des pratiques participatives dans la recherche et l’innovation (OPPRI). Cet observatoire, qui repose essentiellement sur les réponses (ou non réponses) à un questionnaire (5) adressé à chaque organisateur de conférence ou jury citoyen, devrait permettre de recenser les expériences, d’en connaître précisément les modalités et de les soumettre à évaluation. Il pourrait donc constituer un outil d’information aussi bien qu’un aiguillon pour améliorer les procédures.



(1) Convention de citoyens (CdC) : Points importants pour la qualité et la crédibilité de la procédure
(2) Projet de loi concernant les conventions de citoyens
(3) Convention de citoyens (CdC) : Points importants pour la qualité et la crédibilité de la procédure
(4) le conseil scientifique de l’OPPRI est composé de sept universitaires : Michel Callon, Marie-Angèle Hermitte, Dominique Rousseau, Yves Sintomer, Julien Talpin, Cecile Blatrix et Jacques Testart
(5) Questionnaire OPPRI : site FSC ???