Biofutur 331, avril 2012

Pourquoi Amandine il y a 30 ans et pas 50 ans ? La fivète (1), comme bien d’autres innovations, fut le produit d’une époque plus que de nouvelles découvertes. Et la nécessité de définir les meilleures pratiques, pour proposer un véritable service biomédical aux patients vite accourus, a amené les spécialistes vers de nouvelles technologies. Ainsi les cliniciens précisèrent dans les années 1990 les protocoles de stimulation ovarienne : pour court-circuiter les caprices de la physiologie, les traitements actuels inhibent le chef d’orchestre des hormones, l’hypophyse, puis pilotent à volonté la réponse folliculaire à des hormones exogènes. Il en est résulté une relative maîtrise de ces stimulations (moindre proportion de cycles sans ovules recueillis) et un plus grand confort des équipes biomédicales comme des patients grâce à la programmation à l’avance des interventions. Mais pas de gain réel dans la maîtrise du nombre et de la qualité des ovocytes recueillis depuis 30 ans.Côté laboratoire, deux innovations ont changé la donne. D’abord la possibilité, depuis 1986 en France, de conserver congelés des embryons produits en excès a augmenté le nombre de bébés nés d’un seul cycle FIV tout en diminuant la fréquence des grossesses multiples.Ensuite, l’injection du spermatozoïde dans le cytoplasme ovulaire (ICSI) , technique utilisée depuis 1994 en France a augmenté le taux de fécondation en cas de sperme déficient mais a aussi souvent évité le recours à un donneur de sperme (FIV-D).

D’autres pratiques ont progressivement été développées sans élaboration de nouvelles techniques mais en répondant à des demandes sociales tels le don d’ovules ou d’embryons ou, dans des pays voisins, la gestation pour autrui, l’assistance à la procréation de couples homosexuels, etc… De plus, la surenchère entre certains Centres de fivète pousse à proposer à des patients aux abois des techniques « révolutionnaires » comme la sélection sous microscope du spermatozoïde à injecter en ICSI, techniques dont la concurrence ne dispose pas (pas encore…) mais dont l’avantage n’est jamais démontré.

Quand à l’intervention de généticiens pour réaliser le tri des embryons (diagnostic génétique préimplantatoire=DPI, autorisé dés 1994) elle n’a plus pour but de remédier à l’infertilité mais d’éviter la transmission de pathologies, une pente glissante vers un eugénisme consenti et bienveillant que l’IMG était capable de limiter. La congélation de fragments ovariens, déjà pratiquée aux USA, vient d’être proposée à des femmes âgées de 33-35 ans afin de préserver leur fertilité après 38 ans. Cette surmédicalisation facilitera aussi le commerce d’ovocytes, qui existe déjà en Europe même s’il est interdit en France, et permettra de concevoir des embryons « clandestins » (hors cycles de fivète (2)), et de transformer in vitro de très nombreux ovocytes en ovules (3), et donc en embryons, une situation propice à un screening génétique intense (recherche de dizaines de paramètres sur des dizaines d’embryons) conduisant à une pratique véritablement eugénique.

On peut prévoir que l’avenir de la fivète échappera à la lutte contre l’infertilité pour alimenter autant des combinaisons variées de la parentalité que de fantasmes de « normalité » (4). La parade à ces dérives exige le recours à des procédures de choix véritablement démocratiques (5), impliquant les citoyens du monde pour que la bioéthique réglementée ne s’arrête plus aux frontières.

1 Fécondation in vitro et transfert d’embryons
2 La déclaration à l’Agence de biomédecine de chaque ovule recueilli et de son devenir sont obligatoires
3 Testart J (2004) Médecine/Sciences 20, 1041-4
4 voir Le désir du gène, Flammarion 1994
5 Le monde diplomatique, décembre 2010 :