Ouest France, 1 mars 2011.
Jacques Testart, André Cicolella et Christian Vélot, administrateurs de la Fondation sciences citoyennes*

Outre les scandales sanitaires (Médiator, perchloréthylène cancérogène utilisé dans les pressings, tapis jouets au formamide cancérogène, biberons, boîtes de conserve et tickets de caisse au Bisphénol (BPA),…), la chronique judiciaire a aussi relaté deux procès récemment intentés par des scientifiques lanceurs d’alerte : Jacques Poirier, ancien responsable de la qualité des produits chez Sanofi-Aventis avait été licencié pour sa mise en cause de la qualité sanitaire des héparines fabriquées avec des organes animaux d’origine chinoise ; Gilles-Eric Seralini, professeur de génétique qui alerte depuis longtemps sur l’évaluation insuffisante des plantes transgéniques, avait été diffamé par des scientifiques liés à l’industrie des biotechnologies.
La réponse des autorités est généralement de contester la validité de telles alertes: « Les signaux sont faibles », « les effets observés ne sont pas biologiquement significatifs », « il ne faut pas gérer selon le principe d’émotion »... Et, par ailleurs, les lanceurs d’alerte doivent surmonter les pressions pour les faire taire, quand ils ne sont pas stigmatisés somme irresponsables. C’est seulement quand l’alerte bénéficie d’un impact médiatique que les autorités se décident à réagir, mais alors les dégâts sont souvent considérables. D’autant que les industriels font pression pour museler l’information. Il est nécessaire aujourd’hui de définir un mode de gestion des alertes et d‘en faire une analyse critique.Le point commun à tous ces évènements, c’est la carence de l’expertise publique. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a négligé les alertes françaises et étrangères relatives au Médiator depuis plusieurs années. Les Agences française et européenne de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA et AESA) ont nié les effets du Bisphénol A alors que de nombreuses études montraient la toxicité de cette substance.

Sans compter avec la désastreuse campagne de vaccination contre le virus H1N1 alors que les experts liés à l’industrie pharmaceutique dominaient à l’OMS (Organisation mondiale de la santé) ou conseillaient  la Ministre française de la Santé. De même que l’AESA, à l’origine du feu vert donné à toutes les plantes transgéniques, est infiltrée par des experts des lobbies biotechnologiques, le comité de l’AFSSA qui a blanchi le BPA l’était par les représentants des fabricants ou des utilisateurs de BPA.

Si le conflit d’intérêt est permanent, il ne peut être dépassé que par la transparence et la systématisation des expertises contradictoires. Il faut instituer au plus vite une Haute Autorité en charge de la déontologie des expertises dont elle établirait les règles et les ferait respecter. C’était un des engagements du Grenelle. Il est temps de le formaliser. Outre la vigilance en amont, cette Haute Autorité devrait aussi gérer les alertes sanitaires ou environnementales lancées par des personnes particulièrement vigilantes ou informées. Se saisir de chaque alerte pour en évaluer la pertinence constituerait une mesure de précaution précieuse, mais aussi un garde-fou contre une utilisation abusive du dispositif. Et apporter une protection légitime aux lanceurs d’alerte serait un encouragement à la vigilance des citoyens. Ces mesures, contenues dans une proposition de loi de la Fondation sciences citoyennes (1) contribueraient à la mise en œuvre concrète du principe de précaution dont bon nombre de gouvernants ou de responsables économiques refusent encore de comprendre qu’il est devenu un principe constitutionnel.

(1) http://sciencescitoyennes.org/spip.php?article1883

  • La FSC vient de publier Labo planète ou comment 2030 se prépare sans les citoyens , essai coordonné par Jacques Testart, Agnès Sinaï et Catherine Bourgain, Ed Mille et Une Nuits, 2011, 176 pages, 10 euros.