Grenellico !
La Décroissance
, juillet-août 2010
Il était une fois un coq-roi de petite taille et au plumage plutôt terne. Il régnait sur un pays meurtri par les pesticides, le chômage et l’arrogance des seigneurs. Pour conjurer une révolte des serfs, inquiets de voir la terre mourir sous leurs pieds, il proclama que son plus grand désir était de connaître leurs aspirations et il ajouta , la crête à ras des micros: « Ce que vous déciderez, je le ferai ! ». L’évènement était supposé devoir passer à l’histoire sous le nom de « Grenelle de l’environnement » mais, trois ans plus tard, aucune trace n’en figurait dans le dico alors qu’on y trouvait « entourloupe », leurre » ou même « piège à cons » (mais seulement dans Le Robert). Le coq-roi avait serré les serres de quelques serfs en chef tandis que son ministre mâle trinquait à cet accord et que sa ministre femelle donnait l’accolade à un manant à baccantes qui sentait la sueur (une condescendance inutile propagée par les lucarnes domestiques au grand dam des seigneurs du terroir). Ainsi fut-il décidé qu’on cesserait de creuser des tranchées partout dans la campagne pour y faire passer des super trains et des super routes, qu’on limiterait l’arrosage des champs cultivés avec des poisons, qu’on ne nourrirait plus les élèves avec des plats usinés, et même qu’on imposerait la gabelle « monsieur propre » aux seigneurs les plus dégueulasses. Rien ne fut dit sur les machines atomiques parce que c’était interdit d’en parler. Du haut de son perchoir, le coq-roi se déclara ravi par ces conclusions que ses créanciers, les seigneurs, faisaient mine d’approuver. Il répéta « je le ferai ! »et tous applaudirent encore quand il lança un sonore « Grenellico ! » en gonflant son plumage plutôt terne. Dans les mois qui suivirent, le coq-roi mis en route les décisions industrieuses, comme isoler les vieilles cabanes et en construire d’autres aux normes DD, toutes activités régalant les requins des villes mais dont les furets décroissants s’étonnaient qu’il eut fallu la grande foire du Grenelle pour en décider.Il obligea aussi piétons et cyclistes à financer la gabegie de bagnoles en gratifiant les voitureux. Pour le reste, le coq-roi expliqua que les super routes et les super trains c’est bien commode pour aller plus vite et éviter d’être rattrapés par des étrangers, que les pesticides c’est quand même bien utile si on veut des champs compétitifs, et aussi que les écoliers avaient le droit de manger suffisamment. Il avait même illustré sa pensée royale de questions indécidables: « Vous préférez que vos enfants aient faim ?...Vous voulez rouler en carriole ?...Vous souhaitez vraiment qu’on refuse le progrès ?... », avant de conclure : « Et bien moi je vais vous dire : je ne laisserai pas le pays à l’abandon! Je ferai la croissance verte pour vous et vos enfants! ».Puis il se hissa sur ses ergots à talon, cria son fier « Grenellico ! » et toute la cour l’applaudit comme pour un exploit. C’est lors de l’expo annuelle MMX des bêtes de basse-cour et d’étable que les choses se précisèrent sous la pression des requins des champs : ils menaçaient d’attaquer le poulailler si on les empêchait de faire caca partout. « L’environnement ça suffit ! » lança alors le coq-roi , avec la même indignation qu’un alcoolo prétendument repenti s’écriant « Vive la bouteille ! »…L’aveu fut assez remarqué pour dégriser certains parmi les meilleurs valets. Le plus célèbre, un coquelet moralisateur, descendit de son hélico pour annoncer la rupture du processus de paix (mais quand même pas la guerre…) tandis que le renard rouquin, toujours aux aguets, lançait un appel à tous les seigneurs, rose-vert comme bleu-vert , et à tous les manants incolores, pour fonder une coopérative de combat afin de remplacer le coq-roi, par exemple par une poule faisane…. « Y’a le feu au poulailler ! » s’inquiéta le coq-roi qui entreprit illico d’intensifier les actions, ou au moins les discours, pour dénoncer, traquer, enfermer, repousser tous les animaux exotiques , un dérivatif qui avait toujours marché.