La Décroissance, mai 2010

Je voudrais réagir aux « Mesures d’urgence pour changer le monde » exposées par le comité rédactionnel de La Décroissance (avril 2010). Non pour le plaisir de polémiquer mais par souci de faire avancer les idées, pour se demander si ces mesures sont bien les plus importantes/urgentes et si elles permettraient à une société décroissante de s’autogérer.

D’abord il y a des impasses importantes : que deviennent les services publics, par exemple la recherche (voir La Décroissance, mars 2010), ou même la police ? quelle place pour l’initiative privée ? et l’Europe ? et le monde ? Bien sûr, personne n’a encore de vraies réponses à ces questions et nous devrions surtout réfléchir à la méthode qui permettra progressivement d’obtenir ces réponses. Ce qui choque dans la double page de La Décroissance c’est la fréquence des injonctions impératives : « nous interdirons…nous instaurerons…nous imposerons…nous adopterons…nous démantèlerons…nous abrogerons…nous exigerons… ». Ce ne sont plus des mesures proposées, plutôt les dix commandements ! On annonce par exemple qu ‘entre le revenu minimum et le revenu maximum il y aura « un différentiel de 1 à 4 ». Pourquoi 1 à 4 et pas 1 à 2 ou 1 à 10 ? Quelle instance en a décidé et sur quelles bases? Seules deux mesures feraient débat parmi celles évoquées : le revenu garanti et la gratuité des transports publics. Mon opinion est que, sur presque tout, il appartiendra à la population de se prononcer, seule façon d’échapper à l’autoritarisme classique mais aussi à la barbarie encouragée par la contingence de la pénurie des ressources et de la nécessaire remise en jeu des vieilles règles.

Or, très peu de place est faite aux modalités démocratiques dans ces mesures. La mise en œuvre de la représentation proportionnelle, de la parité, du non cumul des mandats, c’est bien, mais on ne peut ramener les façons d’ « impliquer les citoyens » au seul référendum ! Rappelons que l’épisode du traité européen il y a 5 ans fut exceptionnel en ce qu’il mobilisa pendant 6 mois presque toute la population (des médias au bureau en passant par les réseaux de la famille, des amis, des voisins,…). Or le référendum est un outil ambigu s’il ne vient pas sanctionner des informations complètes et contradictoires au cours d’un débat long auquel les votants ont intimement participé. Imagine t-on qu’on réglera ainsi, à la cadence de deux consultations annuelles, non seulement « les deux mesures qui font débat » mais aussi celles que la rédaction estime avoir résolues et celles qui ne sont pas évoquées ?

La plus grande menace à moyen terme n’est pas dans les pénuries ou les catastrophes à venir quoi qu’on fasse, elle concerne la régulation des attributs populaires (droits, intelligence collective, solidarité,…), en conflit violent avec les débordements prévisibles de la bête humaine (égoïsmes, peur, envies, bêtise brutale…). La rédaction aurait pu prendre davantage au sérieux les procédures de démocratie participative sur lesquelles je m’efforce de rassembler, particulièrement les conventions de citoyens, procédures pour lesquelles le système dominant n’offre évidemment que des caricatures trompeuses. La démocratie ce n’est pas une mesure parmi les autres, c’est un principe supérieur d’action, la condition pour rester dans l’humanité tout en changeant de société. Par précaution politique, c’est dès maintenant qu’il faut la construire.