Les cahiers du CCNE, 62, janvier -mars 2010

Dans cet Avis sur les diagnostics anténatals, le CCNE montre que le DPI ne peut pas être considéré comme un DPN précoce mais qu’il diffère du DPN par plusieurs aspects importants. Pourtant, le CCNE approuve la délégation donnée par la loi aux mêmes Centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) pour réguler les activités de DPI comme de DPN. C’est admettre que, malgré les différences entre les deux types d’examens, le DPI n’introduit pas de dimension éthique particulière qui exigerait que son exercice ne dépende pas seulement d’une commission médicale, fut-elle très compétente et douée de la « prérogative de prendre en compte aussi le versant extra-médical de la gravité ». Il nous semble que le législateur s’est ainsi dédouané du problème que posent les invitations incessantes à de nouvelles indications de DPI, une dérive qui ne peut pas affecter le DPN. Car, il faut bien rappeler que le DPI s’est déjà étendu, depuis l’évitement de maladies à celui de risques de maladies (cancers) en passant par des recherches de compatibilité (à fin thérapeutique), sans omettre que le glissement dans l’appréciation de la « gravité » réunit par exemple les hémophilies avec les myopathies . Pour combien de temps sommes nous encore préservés du DPI pour risque de strabisme, déjà pratiqué en Grande-Bretagne ? Les pouvoirs importants de discernement éthique qui sont donnés aux CPDN, et plus généralement à l’ABM, montrent la prépondérance des bonnes pratiques médicales sur les implications sociales et anthropologiques des actes. Dans l’Avis N°107, la recherche de la trisomie 21, quand les actes de DPI sont par ailleurs indiqués, est justifiée par le bon sens et la compassion: pourquoi ne pas profiter de cette situation pour éviter les angoisses et souffrances tardives du DPN éventuellement associé à l’IMG ? Pour les mêmes raisons, on pourrait rétrospectivement juger irresponsable de n’avoir recherché que cette aneuploïdie, même si elle est la plus fréquente ou, à l’extrême, de ne pas avoir profité de la disponibilité des embryons in vitro pour leur appliquer un DPI, si possible exhaustif. Encore une fois la question non satisfaite est celle de la limite et on ne s’en sort pas vraiment en dissertant sur la « gravité » ou l’ « incurabilité » des handicaps, notions toujours relatives au regard d’une démarche éthique qui devrait viser l’ « autolimitation de la puissance » (Sylviane Agacinsky).

Quelle logique amène le CCNE à limiter la détection de la trisomie 21 aux embryons des seuls couples relevant du DPI pour des risques génétiques déjà prévus par la loi ? L’Avis N° 107 évoque le prélèvement de 1 ou 2 blastomères aux fins d’analyse et s’inquiète de l’éventualité que l’embryon s’en trouve affecté, ce qui justifierait de réserver la détection de l’aneuploïdie aux cas où ce prélèvement est déjà pratiqué. Pourtant, il n’est pas démontré que la biopsie embryonnaire affecte le développement ultérieur. En revanche, la fiabilité de ce diagnostic n’est pas acquise (1) . Quelle logique amène le CCNE , dans les mêmes cas où le DPI est déjà indiqué, à ne pas proposer la recherche des autres aneuploïdies qui justifient couramment l’IMG ? L’apparente incohérence dans une démarche qui se veut de bon sens pourrait s’expliquer comme une protection contre le soupçon d’eugénisme, mais le cas du CCNE serait-il aggravé s’il proposait cette même mesure pour tous les embryons disponibles in vitro ? On peut prévoir une évolution en ce sens si la logique qui prévaut demeure celle de l’efficacité.

Il existe d’autres champs imparables où cette même logique devrait ultérieurement s’épanouir. Ainsi, comme il arrive avec les aneuploïdies, de nombreux cas de maladies géniques (souvent 25% et parfois plus de 50% des patients) sont le résultat de mutations de novo, c’est à dire qu’on ne pouvait pas les prévoir par l’analyse des génomes parentaux ou par la recherche de cas familiaux. Alors, une attitude absolument sérieuse, et médicalement justifiée, devrait conduire à proposer l’évaluation génétique de tout embryon avant de prendre le risque de son développement. Si cela n’est pas encore réalisé, c’est seulement pour des raisons techniques et économiques mais rien dans le discours éthique, y compris celui récent du CCNE, ne s’y oppose, sauf des phrases sans autre portée que d’accompagner les glissements (2).

Mais il faut voir plus loin. Dans son chapitre consacré à la prospective, l’Avis N°107 évoque diverses évolutions, dont la perspective de diagnostics anténatals de plus en plus précoces, tout en négligeant d’éventuels bouleversements techniques qui pourraient réduire ou annuler les servitudes imposées actuellement par la FIV, épreuve préalable au DPI. Ce serait le cas si on produisait des ovules en abondance (Testart, Med.Sci. 20, 1041-44, 2004) par culture longue de fragments ovariens ou par différenciation de cellules souches, éventuellement issues de cellules somatiques. Dans l’énoncé des différences entre DPN et DPI, l’Avis N°107 omet aussi de signaler ce point fondamental qui est le nombre de conceptus soumis au diagnostic, condition qui pourtant autorise le tri dans le DPI mais l’empêche dans le DPN. Force est de reconnaître que s’il devient possible d’engendrer des embryons en très grand nombre, et qui plus est en exemptant les femmes des servitudes de la FIV, la séduction du DPI pourrait s’imposer à tous les couples souhaitant procréer de façon responsable, c’est à dire en donnant les meilleures chances à leur progéniture. Repousser l’examen éthique d’une telle situation, hautement probable à terme, jusqu’au moment où la technique nous aura mis au pied du mur, c’est conforter le dicton qui constate que « la science va toujours plus vite que l’éthique », en omettant que la paresse éthique en est parfois la cause…Surtout, c’est ne pas se doter d’un bagage éthique susceptible de répondre à des situations qualitativement nouvelles. On ne peut se contenter de dire qu’« on avisera en fonction des problèmes ! » tout en acceptant la mise en place d’une grille d’analyse qui ne laissera aucune échappatoire à l’eugénisme consenti. Car on voit mal comment, au nom de l’implacable logique d’évitement de la souffrance (pour les couples, l’enfant, la société) on pourrait justifier le refus, pour n’importe quel couple géniteur , du bénéfice d’une grossesse « sécurisée », même si cet objectif est à la mesure absurde de l’ « enfant parfait ».

La question qui devrait habiter le CCNE n’est pas celle des petits pas, toujours justifiables parce qu’ils ont l’évidence du bon sens, mais celle de la limite. Quelle est la limite réelle (à prétention définitive) du champ du DPI si ses indications actuelles sont susceptibles d’être encore et toujours dépassées (par l’accoutumance, le savoir-faire ou l’alignement sur des pays voisins) ? S’agit-il d’une véritable construction éthique si tout changement consiste en un dépassement unidirectionnel par l’addition de nouvelles exceptions à ce qu’on présentait comme une règle ? La singularité française tant vantée ne serait alors que la marque de notre retard sur ce que font déjà nos voisins ! Il n’existera jamais de critère objectif pour apprécier la gravité des pathologies ou l’intolérance que suscitent les différences et les handicaps. Conscient du potentiel eugénique exceptionnel du DPI, j’avais d‘abord proposé qu’on s’abstienne de l’inventer (L’œuf transparent,1986), puis qu’on l’interdise (Le désir du gène, 1994) et finalement qu’on le contienne (In : l’embryon chez l’homme et l’animal. Ed.Inra/inserm, 2002). Ma proposition faite il y a plus de 10 ans de ne réaliser définitivement le DPI que pour une seule mutation par FIV n’a jamais été discutée dans la profession (3), ni au Parlement ou au CCNE. Elle était pourtant déjà assortie de la possibilité de rechercher toutes les aneuploïdies graves ! Quand on propose aujourd’hui l’introduction de la trisomie 21 dans le DPI, c’est sans poser une mesure clé qui ferait de cet élargissement une ambition à terme. Pour nous, la limitation, à une seule par couple, des mutations recherchées, véritable « autolimitation de la puissance », permettrait l’exercice de la liberté individuelle (de refuser ce que chacun estime insupportable) tout en maintenant la diversité de ces choix. On pourrait ainsi relativiser les stigmatisations en diversifiant largement les personnes qui en sont l’objet, plutôt que cautionner une convergence des critères qui correspond de fait à un eugénisme consensuel. Car, faut-il le rappeler, ce n’est pas le sort des embryons éliminés qui nous mobilise mais celui des survivants au tamis génétique, et de leurs contemporains (voir mon site internet: http://jacques.testart.free.fr )

Jacques Testart, directeur honoraire de recherches de l’inserm

(1) Des travaux récents (Vanneste et al, Human Reprod.24, 2009) confirment une fréquence très élevée des aberrations chromosomiques qui affectent 90% des jeunes embryons avant qu’opère une sélection naturelle.Ainsi le blastomère prélevé risque fort de n’être pas représentatif du génome de l’enfant à venir, une situation qui affecterait la fiabilité des caryotypes plus que la recherche de mutations.

(2) On peut aussi définir la bioéthique comme l’art de différer les manipulations de l’humain jusqu’à ce qu’advienne leur acceptation sans violence…

(3) Cette proposition découlait d’une enquête réalisée avec Bernard Sèle en 1999 et proposant aux acteurs de l’AMP : « Puisque la loi ne peut nommer les « pathologies particulièrement graves », il faudra qu’elle limite le nombre des paramètres d’exclusion pour que l’AMP reste une aide médicale à la procréation et ne devienne pas un moyen de sélection médicalisée de l’humanité. Aussi nous affirmons notre volonté de tout faire pour que le DPI reste un DPN précoce, en limitant définitivement son intervention à l’établissement du caryotype et à la recherche d’un seul variant pathologique pour l’ensemble des embryons disponibles chez un même couple ». Cette enquête n’a pas montré d’approbation des praticiens internationaux sollicités (in : l’embryon chez l’homme et l’animal, op cit, p292-293)