Les Etats-Généraux de la bioéthique : un leurre démocratique ?
Alternative Santé, octobre 2009
Points culminants des états généraux de la bioéthique, trois « forums citoyens » se sont déroulés en juin dernier à Marseille, Rennes et Strasbourg. Auteur de la première fécondation in vitro en France, le biologiste Jacques Testart juge ces forums avec son regard de « critique de sciences » (1).
J'ai participé, sans enthousiasme, au débat public organisé à Marseille. Je ne pouvais pas fuir cette occasion de parler du sujet de bioéthique qui me semble le plus grave et qui n'est jamais réellement débattu : le DPI (diagnostic préimplantatoire, pratiqué sur les embryons fécondés in vitro). J’étais sans illusion parce ce débat était loin d'une conférence de citoyens (CdC) telle que nous l'avons définie dans le projet de loi élaboré par la Fondation sciences citoyennes (FSC), à l'issue d'un travail multidisciplinaire de 3 ans et de l¹analyse des expériences mondiales (2).
Il existe de nombreuses différences entre la procédure utilisée pour ces trois forums et celle proposée par la FSC. Elles concernent surtout la formation préalable donnée au panel de citoyens tirés au sort pour participer à ces débats publics, et donc aussi la nature du Comité de pilotage qui définit cette formation. Ce Comité était composé de personnalités non impliquées dans les controverses sur les thèmes de ces forums. Un tel choix suppose que le savoir est objectif et que la réunion d¹experts (ou de personnes compétentes) est par nature fondatrice de la Vérité autant que du Bien public.
Au contraire, notre proposition de loi institue la controverse comme un moyen de parvenir à l¹objectivité. Nous préconisons un Comité de pilotage composé de 2 spécialistes du débat public et de 4 à 6 spécialistes de la question, « choisis afin de représenter l’essentiel du pluralisme disciplinaire et du pluralisme des opinions sur la question débattue ». Les décisions du Comité étant prises par consensus, c¹est la présence délibérée des contradictions en son sein qui permet de rechercher l¹objectivité du programme de formation des citoyens. Il en découle que la formation doit « développer le sens critique des citoyens par l¹exposé des controverses et de la diversité des points de vue » et que « l¹acquisition critique des connaissances s¹organise en alternant rencontres avec les formateurs et débats entre les citoyens ».
Pour Marseille, je ne sais pas si les médecins formateurs avaient des positions propres et un recul suffisant. En revanche à Rennes le médecin à qui l’on a demandé d¹intervenir sur l¹anonymat du don de gamètes est le responsable du Cecos (3) local. Bonjour l¹objectivité! Rien ne dit que les autres intervenants ont apporté un point de vue contradictoire.
Il appartient aussi au Comité de pilotage de recueillir et distribuer des « cahiers d¹acteurs émis par toutes les personnes physiques ou morales désireuses d¹en produire », et c¹est seulement la diversité des convictions au sein du Comité qui permet de choisir équitablement les documents à distribuer au panel de citoyens, pour leur donner « une présentation des positions contradictoires dans la controverse en cause ».
La volonté délibérée d’écarter la controverse de la formation et de la réserver pour le débat public a eu pour conséquence de ne faire découvrir la réalité des positions des "experts" qu'au dernier moment, juste avant la rédaction du rapport final par le panel, court-circuitant ainsi la nécessaire maturation des avis des citoyens que permet la discussion interne au panel. Leur surprise était évidente quand j'ai évoqué l'avenir eugénique prévisible du DPI, et aussi la non justification des recherches sur l'embryon humain avant résultats probants chez l'animal...
On pourrait encore évoquer bien d'autres points contestables. Seule la rigueur du protocole peut justifier la prise en compte des avis de ces instances par les politiques. Sans véritable traduction législative, les CdC, forums, débats publics, etc... ne peuvent constituer que des exutoires, voire des leurres démocratiques.
(1) Voir le site de Jacques Testart : http://jacques.testart.free.fr et son dernier livre : Le vélo, le mur et le citoyen. Que reste-t-il de la science ?, éd. Belin. (2) voir le texte (3) Centre d’études et de conservation des oeufs et du sperme humains.