La Décroissance, novembre 2009

J’ai souvent défendu la révolution démocratique portée par les conventions de citoyens, cette mouture formalisée des conférences de citoyens pour laquelle la Fondation Sciences Citoyennes (FSC) a élaboré un projet de loi qui attend depuis 2 ans l’intérêt des parlementaires (Les citoyens au pouvoir !). Rappelons qu’il s’agit de recueillir l’avis d’une quinzaine de personnes tirées au sort et recevant, sur le sujet traité, des informations exhaustives et contradictoires dont elles débattent entre elles. Depuis 10 ans, au moins une dizaine de procédures se réclamant de ce principe ( mais avec des protocoles très variés) ont été organisées en France. Une tendance se dessine récemment pour professionnaliser et privatiser ces procédures au risque de leur ôter la spontanéité et l’indépendance d’esprit qui en font l’originalité.C’est que , par commodité, les organisateurs (ministères, mairies, régions,…) sous-traitent ces évènements à des organismes à but lucratif qui font désormais profession de gouverner la démocratie ! On peut comprendre que le recrutement du panel de citoyens soit assuré par des professionnels (tel l’IFOP, cher à la patronne du MEDEF) mais des dérives apparaissent quand ceux-ci visent la facilité et la rentabilité. Cela peut arriver en reprenant un citoyen ayant déjà participé à une autre procédure mais dont le profil permet de boucher à bon compte un trou dans le nouveau panel (celui-ci est en effet composé de façon variée à partir de personnes tirées au sort en large excès). Plus grave , les citoyens peuvent être recrutés non sur les listes électorales mais sur des listings de personnes testant des produits à commercialiser, une population propice à ce volontariat mais certainement non aléatoire ! Pour s’assurer plus sûrement de l’acceptation des personnes sollicitées, il devient aussi fréquent de financer leur participation au delà de l’indemnisation de leurs frais réels. C’est un peu comme si on payait les citoyens pour aller voter… tout en ciblant un échantillon de « citoyens professionnels »plus disponibles.

Outre le recrutement du panel, le prestataire choisi par l’organisateur a de plus en plus la charge de gérer la formation des citoyens en proposant le programme et les formateurs. C’est peut-être autant par croyance en une science objective que pour éviter les « extrémistes » que le prestataire tend à imposer un programme insipide. On peut comprendre que l’intérêt du prestataire, qui est de satisfaire l’organisateur (et d’obtenir d’autres contrats), ne soit pas de stimuler la polémique et de risquer d’orienter les citoyens vers un avis qui dérange…Ainsi au nom d’un mythique « savoir neutre », les points de vue contradictoires, dont la fonction est primordiale dans ces procédures, sont édulcorés ou annulés. Il en résulte que c’est seulement le jour du débat public final, à quelques heures de la rédaction de leur avis, que les panélistes découvrent la teneur réelle de la controverse parce qu’ils ont demandé à interroger des « experts » non programmés…

Ces pratiques qui mettent en marché la démocratie, comme la taxe carbone et les droits à polluer mettent en marché l’écologie, sont très préjudiciables pour valider et faire reconnaître le potentiel extraordinaire de telles procédures. Les institutions publiques doivent être seules compétentes pour piloter les conférences de citoyens et doivent le faire selon un protocole strict, tel celui proposé par la FSC. Qu’attendent les élus pour mettre ces propositions dans la loi ?