Le principe d’irresponsabilité
La Décroissance, octobre 2009.
Claude Allègre vient encore de sévir en proposant un nouvel oxymoron : après le développement durable et la croissance verte le nouveau nom du suicide collectif, pour lequel il crée une fondation, est l’écologie productive ! Avant la survenue de la religion du progrès, il y a seulement 2- 3 siècles, les populations étaient invitées par les religions traditionnelles à faire leurs dévotions en espérant la mansuétude divine dans les périodes les plus hostiles(guerres, épidémies, famines…). Aujourd’hui, où la raison se prétend maître du jeu, nous voici encore en attente de miracles selon la leçon rassurante de scientistes incorrigibles qui sévissent à (leur) volonté dans les médias (1). Ceux-là estiment que c’est par manque de confiance en la science et par insuffisance d’innovations que sévissent des nuisances aussi variés que les changements climatiques, la carence de ressources énergétiques, la réduction de la biodiversité, le débordement des déchets nucléaires,…L’unanimité de cette clique pour éluder chaque inquiétude et leurs réponses stéréotypées pour parer à chaque drame devraient suffire à les faire suspecter de légèreté intellectuelle, voire de malhonnêteté ! Plus troublant : les mêmes, qui sont tous aussi en faveur des plantes transgéniques ou des nanotechnologies, se placent dans le camp « libéral-libertaire » sur les sujets de bioéthique, par exemple, et pour ce qu’on en sait, en considérant l’embryon humain comme matériau de recherche ou objet propice au tri de l’humanité, en soutenant le clonage ou les mères de substitution…Voilà qui fait système !
Il y a trente ans le philosophe allemand Hans Jonas évoquait déjà la « croyance superstitieuse en la toute puissance de la science» (Le principe responsabilité, 1979, Ed du Cerf, 1998) mais il allait plus loin : même si on ne peut pas exclure l’éventualité de tels miracles (comment le pourrait-on sauf en recourrant à une autre croyance, celle-ci en une sorte d’acharnement du sort ?...) il serait irresponsable de compter sur ces aléas pour poursuivre en bonne conscience une voie mortifère. Dans la foulée, Jonas fustigeait la croyance que davantage de technique saurait remédier aux maux que la technique nous a déjà infligés, une idée pourtant largement répandue chez nos « élites », et il combattait aussi une proposition sous-jacente à cet optimisme (2) forcené qui postule que l’homme est capable de s’habituer à tout. Sans nier que cela soit possible, le vivant étant par définition doué d ‘une force considérable d’adaptation, Jonas pose la question : « A quoi l’homme doit-il s’habituer ? A quoi a t-on le droit de le forcer ou de l’autoriser à s’habituer ? ». Pour s’en inquiéter, il faut bien sûr avoir une certaine idée de l’homme, en refusant de n’y voir qu’une machine qu’on pourrait améliorer sans en nier l’essence même. Dire cela n’est pas céder à l’anthropocentrisme pourvu qu’on ne sépare pas l’homme de sa planète (dès 1979 Jonas parlait de planète patrie), laquelle peut aussi être soignée, aménagée, entretenue, mais pas bouleversée sans prendre des risques inestimables. Finalement, on doit remarquer qu’entre les délires des transhumanistes (lesquels ont délibérément abandonné la pensée humaniste) et ceux des défenseurs du « progrès » de l’humanité par la technoscience, l’espace est bien mince
(1) Par exemple Claude Allègre, Luc Ferry, Philippe Val, Alain-Gérard Slama, François Ewald, Alain Minc…
(2) Optimisme est le nom que les scientistes donnent à leur béatitude