www.genethique.org, septembre 2009

Il y a 25 ans , le responsable des banques de sperme (cecos) annonçait l’imminence d’une médecine de l’embryon, l’œuf humain étant qualifié de « plus petit patient ». Qu’en est-il ? En fait la biomédecine d’une part propose à certains couples une sélection parmi leurs embryons (diagnostic préimplantatoire=DPI), et d’autre part revendique de sacrifier des embryons sans « projet parental » à des recherches (lesquels sont plus gratifiantes et « compétitives » que si elles étaient réalisées sur l’embryon animal…). Plutôt que bénéficiaire de la sollicitude médicale, le « plus petit patient » est donc seulement l’objet de sacrifices justifiés par la santé d’autres êtres humains… Pour leur part, les défenseurs de l’embryon , qu’ils considèrent comme une personne, semblent croire à une future médecine de l’œuf dont on voit mal ce qu’elle serait : s ‘il s’agit de « soigner » un embryon déficient, par exemple par thérapie génique, le projet est absurde puisqu’il ne peut être que consécutif à la FIV (que les mêmes réprouvent), laquelle conduit à concevoir plusieurs embryons parmi lesquels au moins un devrait s’avérer « normal »… Mais certains fervents de la science salvatrice imaginent de modifier le génome humain au stade de l’œuf juste fécondé (par transgenèse) afin de créer des HGM (humains génétiquement modifiés) dotés de « qualités » naturellement absente dans notre espèce. Nul ne sait à quoi ressembleraient de telles constructions biotechnologiques, d’abord parce que personne n’a décrit ce qui manquerait à l’homme (à tous les hommes) pour être plus humain… à moins que l’humanité soit délibérément étrangère à ce projet utopique autant que totalitaire qui se dénomme lui-même « transhumaniste ». Les transhumanistes ne constituent pas une secte ordinaire, ils ont pignon sur rue, surtout aux Etats-Unis où ils comptent des scientifiques réputés qui veulent cumuler la transgenèse initiale avec les technologies bioinformatiques et les nanotechnologies pour construire un homme « supérieur »… Bien des penseurs de par le monde se font peur avec « l’homme modifié » qui n’est encore heureusement qu’une fiction délirante, mais cette attention aux utopies spectaculaires contribue à exonérer la biomédecine des périls véritables auxquels elle expose déjà l’humanité !

Si la modification (thérapeutique ou démoniaque) de l’œuf ne semble ni souhaitable ni vraisemblable, restent les anciennes stratégies de sélection pour éliminer les indésirables, lesquels échappent désormais à l’infanticide (au moins en Occident). Il existe une voie quasi « écologique » pour créer de bons génomes sans passer par une véritable fabrication, il s’agit de saisir l’opportunité qu’offre la diversité naturelle des conceptions pour en extraire les meilleurs éléments. Alors que l’IMG(interruption médicale de grossesse) trouve ses limites eugéniques dans la violence de l’acte et sa focalisation sur de rares pathologies, le DPI (diagnostic préimplantatoire) autorise à la fois la multiplication des critères d’acceptation (pourvu que la couvée embryonnaire soit nombreuse) et l’observance des règles d’une éthique consensuelle (puisque l’acte « médical » porte sur des êtres qui nous sont presque indifférents). Je crois que le DPI est infiniment plus eugénique que l’IMG , par exemple : en permettant un tri plutôt qu’un choix binaire puisque plusieurs embryons sont présents simultanément là où le couple cherche un enfant ; en déléguant ce tri, techniques et épreuves confondues, au personnel biomédical entre les mains duquel se trouvent les embryons (la séquence DPN/IMG n’est pas reproduite par le DPI qui cumule diagnostic et élimination sous le même sigle technique) ; en ne différant pas la naissance d’un enfant souhaité, fin heureuse du processus technique ; en visant potentiellement, au delà de la « qualité » de l’enfant à naître, l’éradication de certaines caractéristiques dans l’humanité à venir.

C’est le caractère systématique du recours à l’IMG dans le cas de certaines pathologies (98% des trisomiques décelés par DPN sont éliminés) qui glace, comme si une machine avait pris en charge l’élimination de certains humains en appliquant un programme d’éradication impitoyable… bien que relativement inefficace. En effet, la survenue de telles pathologies est imprévisible et inéluctable si bien que la « solution eugénique » ne s’entend que par la répétition des mêmes programmes sacrificiels au fil des générations.

Je comprends l’opposition fondamentale à l’IMG mais je ne peux ni la partager ni l’identifier au refus du DPI pour les raisons évoquées ici brièvement (et développées dans Le désir du gène, Flammarion 1992 et Des hommes probables, Le Seuil, 1999). De façon évidente,, et même pour ceux qui voient l’irruption d’une personne dés la fécondation, il existe une gradation subjective du respect dû au conceptus en fonction de son stade de développement, et la suppression d’un fœtus choque davantage que celle d’un œuf juste fécondé. C’est que le problème éthique posé par l’élimination du conceptus est concentré exclusivement sur le conceptus lui-même. Je crois pour ma part que l’humanité a davantage à perdre de la norme qui se construit (ou se perpétue) au fil des exclusions que des éliminations elles-mêmes. Et qu’il faut donc se préoccuper surtout des survivants… Ils sont de deux natures différentes : ceux (encore rares) qui ont traversé avec succès l’épreuve du tamis génétique du DPI et qui pourraient culpabiliser d’une victoire payée par la mort de leur fratrie ; ceux aussi (nous tous) qui appartiennent à une société où le meurtre des différents a été banalisé et où il deviendra insupportable de ne pas être « compétitif » selon les critères de la mystique génétique. Le pire est à venir quand ces deux catégories se recouvreront parce que toute conception sera soumise à évaluation génétique, ce qui devrait arriver dés que le DPI ne se payera plus des servitudes liées à la FIV, comme je l’ai développé ailleurs (voir Des ovules en abondance ?. Qui peut croire que nos laborieuses lois de bioéthique résisteront longtemps à l’exigence trompeuse de « l’enfant parfait » acceptée à Londres, Bruxelles ou Barcelone ?