Libération, 27 avril 2009

L’un des effets imprévus de la fivète a été de livrer l’œuf humain juste conçu à l’appropriation et à l’inquisition par la biomédecine, révolution dont on commence seulement à envisager les conséquences. Depuis plus de vingt ans, il est question de « recherche sur l’embryon » mais cette revendication de laboratoire ne correspond pas réellement à ce qu’elle paraît exprimer et qui consisterait à mieux connaître le tout début du développement dans notre espèce en montrant ses éventuelles particularités par rapport aux espèces animales. En réalité nul n’envisage un tel travail de recherche cognitive dont les bénéfices médicaux, économiques ou médiatiques semblent plutôt limités. Si bien que le label scientifique de la « recherche sur l’embryon » recouvre deux projets plus concrets : soit identifier des caractéristiques individuelles (génétiques ou métaboliques) particulières à chaque embryon, soit utiliser des pièces embryonnaires (les fameuses cellules souches ou cellules ES) dans un but thérapeutique (ou même comme matériau expérimental pour l’industrie pharmaceutique).

Le premier projet relève d’un élargissement du DPI (diagnostic préimplantatoire) afin de qualifier aussi bien le potentiel de viabilité (cet embryon est le plus susceptible de se développer après transfert in utero) que des caractéristiques propres (le génome de cet embryon laisse espérer le meilleur profil de « normalité » pour l’enfant à naître). Une telle investigation sur une ou deux cellules soustraites à chaque embryon permettrait, selon les demandeurs de la « recherche », d’augmenter simultanément le succès du transfert in utero et la qualité des bébés nés de fivète. Pourtant, on estime que la moitié des embryons humains possèdent un nombre anormal de chromosomes (situation exceptionnelle parmi les mammifères et souvent létale) on sait aussi que la plupart de ces anomalies sont portées par les gamètes si bien que toute volonté réellement scientifique de générer des embryons normaux (pour leur nombre de chromosomes) exigerait des recherches sérieuses en amont, sur la fabrication des ovules et spermatozoïdes et leur rencontre dans la fécondation. Par ailleurs, les techniques de tri embryonnaires n’auraient un impact sur le succès de la fivète que si elles étaient systématiquement mises en jeu par l’évaluation de chaque embryon produit in vitro… c’est à dire par la généralisation du DPI. J’ai assez alerté depuis 1986 sur les risques éthiques et anthropologiques attachés à cette perspective eugénique appropriable en démocratie pour ne pas développer ici en quoi l’horoscope génétique me semble constituer le défi éthique le plus important parmi tous ceux introduits par la fivète (voir la rubrique Bioéthique et AMP). Le législateur ne devrait-il pas prendre en compte la systématisation ainsi annoncée du DPI pour évaluer les demandes de « recherche sur l’embryon » ?

Le second projet d’utilisation de l’embryon est celui qui agite le plus les milieux concernés autant que les débats de bioéthique. On peut s’étonner de la volonté de s‘emparer de l’embryon humain afin de développer une stratégie thérapeutique qui n’a pas encore fait ses preuves chez l’animal, comme si l’humain pouvait être un matériau expérimental banal. Les dernières années ont confirmé d’une part l’induction fréquente de tumeurs chez les sujets recevant des cellules ES, et d’autre part que des cellules issues d’adultes présentaient beaucoup plus de compétences qu’on supposait pour se différencier en tissus variés. Une découverte spectaculaire en ce domaine est la possibilité de modifier des cellules de peau en « cellules souches pluripotentes induites » ou cellules iPS pour les faire dériver en cellules nerveuses, musculaires, etc… Que signifie alors cette exigence renouvelée pour s’emparer de l’embryon humain avant d’avoir mené à bien des programmes avec les cellules ES chez l’animal, et aussi avant d’avoir exploré complètement le potentiel thérapeutique de cellules d’adultes animaux ou humains ? Les demandeurs prétendent qu’il serait nécessaire de développer tous ces programmes simultanément, comme si une étrange urgence dans la compétition avec des laboratoires étrangers permettait de nier le poids éthique particulier à chaque programme. Comment ces chercheurs empressés justifieront-ils leur entorse à l’exigence éthique d’un modèle animal pour la recherche médicale, telle qu’établie il y a 45 ans à Helsinki, et aussi d’avoir inutilement « taquiné le catho », s’il se confirmait finalement que la thérapie cellulaire n’a nul besoin de l’embryon ?

A l’évidence, des motivations non exprimées se substituent ou s’ajoutent aux arguments à prétention scientifique des conquistadores de l’embryon humain. Peut-être est-ce le mythe de la fontaine de jouvence qui leur fait privilégier le plus jeune des matériaux biologiques ? Ou est-ce parce qu’ils ne supportent pas que l’embryon se trouve encore légalement préservé de « la recherche », laquelle peut cependant concerner tous les autres stades de l’humain, du fœtus jusqu’au cadavre ? La pulsion d’accaparement du plus petit de notre espèce pourrait ainsi relever d’une exigence de consommation cannibale…

Reste une hypothèse : Si les cellules ES sont susceptibles , mieux que les cellules d’adultes , d’être administrées sans risque de rejet immunitaire chez n’importe quel receveur, elles seraient ainsi les plus propices à l’industrialisation de la thérapie cellulaire. On peut en effet imaginer une chaîne de recueil, traitement, conservation et cession de ces cellules sur un mode quasi industriel (c’est la même volonté de standardisation qui a remplacé les hormones naturelles par celles issues du génie génétique pour la stimulation des ovaires … avec pour seul résultat une augmentation considérable du coût de la fivète). Au contraire les cellules issues d’adultes risquent d’être plutôt confinées au donneur lui-même, dans un cadre biomédical individualisé indépendant des firmes multinationales, c’est à dire selon des pratiques « artisanales »et personnalisées qui échapperaient aussi au marché des produits brevetés…