La Décroissance, novembre 2008

La tronche du prétentieux procureur Eric Le Boucher a disparu de la rubrique « Economie » du Monde (comme si la moitié du journal ne relevait pas que de l’économie !), remplacée par celle de Pierre-André Delhommais. Celui-là a l’air méchant et soucieux mais il est plutôt débraillé et chevelu, ce qui ne l’empêche pas de vendre encore le morceau du Boucher : « les réformes de structure » du libéralisme économique. Le 31 août, il prévoit « la fin de la grande illusion » ( celle du plein emploi pas des énergies fossiles…) car le PIB recule « n’en déplaise aux amis de la décroissance ».

Rien de neuf ni d’original, mais arrêtons nous sur cette fonction d’« ami » de la décroissance qu’il prête avec quelque raison à ceux qui ne voient que « joie de vivre » dans cette issue économique. Je sais, on vivra bien mieux avec le strict nécessaire plus la convivialité et les petits oiseaux. Mais n’y a t-il pas de la méthode Coué dans ce bel enthousiasme ? Une chose est de poser la décroissance comme inéluctable ( ce qui est déjà un point de vue très minoritaire), une autre de se réjouir sans réserves, comme si on n’avait rien appris des promesses de lendemains qui devaient chanter… Car, combien de temps, combien de générations faudra t-il pour généraliser la joie de vivre ? Avec quelles résistances contre cette révolution ? Combien de malheureux seront les victimes prioritaires de la pénurie( avant-goût récent des « émeutes de la faim » )? Quelles violences organisées par des parvenus ou des pique-assiettes pour conserver leur part d’un gâteau diminué ? Quelles guerres pour posséder l’eau ou les dernières gouttes de pétrole (avant-goût récent en Irak, Géorgie,…)?
Il faut préparer sérieusement une autre organisation du monde car, faute d’avoir inventé une démocratie véritable avant l’obligation vitale du partage, la fureur de vivre de certains pourrait bien ruiner la joie des autres…

Autre chose plus prosaïque encore : il n’existe pas d’outil pour mesurer la joie ou la détresse sauf la comparaison par chacun de ce qu’il vit avec ce qu’il connaissait auparavant, le manque de ce qu’on a perdu étant souvent plus douloureux que le désir de ce qu’on n’a jamais possédé. Les Gandhi étant aussi rares que les pratiquants de la « simplicité volontaire », le bonheur de ne plus consommer devrait laisser pour longtemps bien des gens incrédules. Or, ce sont les vivants des prochaines décennies qui devront initier une autre suite du monde et on ne peut pas mépriser cette majorité au prétexte que consommer est stupide. Ne pas oublier que chacun n’a droit qu’à un tour sur cette planète et qu’au prochain arrêt, qui pourrait précéder celui de la décroissance joyeuse, son ticket risque de n’être plus valable (comme disait Romain Gary).

Il faut donc continuer d’expliquer pour quelles raisons objectives la décroissance est notre destin et que la pénurie des biens matériels peut devenir une chance si, plutôt que s’encaver comme les survivalistes, l’espèce repart autrement, durablement (peut-être) et humainement (enfin). Mais surtout faire des propositions politiques alternatives concrètes et précises pour que bien des humains qui vivent déjà là, modestement là, n’y laissent presque toutes leurs plumes …