Politis, 4 septembre 2008.

Qui décide des thèmes dignes d’alimenter la bioéthique à chaque moment ? Pendant plusieurs années après la naissance de la brebis Dolly (1996) le sujet grave fut le clonage humain. Pourtant, aucun lobbyiste sérieux ne proposait le recours à cette façon périlleuse, simpliste et indigne de reproduire les humains ! Seuls quelques charlatans comme le gynécologue romain Antinori et l’extra-terrestre Raël y trouvèrent matière à publicité. Exit le clonage reproductif, le sujet grave de l’heure est la « recherche sur l’embryon » avec cette fois des pressions médico-scientifiques. Et alors ? Qu’on demande à ceux-là de démontrer par l’expérimentation animale que le sujet est mûr et prometteur plutôt que taquiner le catho gratuitement ! car notre embryon connaît les mêmes lois que celui de n’importe quel mammifère et le miracle médical promis est improbable si on est incapable d’abord d’une compréhension scientifique. De même qu’il suffisait d’interdire le clonage humain, on peut repousser ce débat sur l’embryon jusqu’à ce que son objet devienne crédible: que chercherait-on chez l’humain qu’on ne puisse chercher chez la souris ? Pourquoi la thérapie cellulaire avec des cellules souches embryonnaires, dont la suprématie sur toutes les autres est proclamée sans preuve depuis 10 ans, serait-elle un enjeu sérieux dans l’espèce humaine alors que les échecs sont patents chez l’animal ?

Dans le panier bioéthique « cuvée 2008 » il y a aussi des choses concrètes sur lesquelles il faudrait effectivement faire des choix (grossesse pour autrui, usages des tests génétiques,…) mais toujours pas la véritable question, pourtant déjà mise en œuvre et qui devrait révolutionner les sociétés humaines. Laquelle ? On reconnaît souvent qu’un sujet est grave quand on en ressent les effets dramatiques et irréversibles. Ainsi pour l’environnement: le climat change et la biodiversité diminue et cela continuera quoi qu’on fasse désormais parce qu’on a trop tiré sur la ficelle. En bioéthique on confond encore les sujets marginaux et les véritables menaces. Quand bien même des embryons humains seraient conçus comme objets de recherche ou des femmes pauvres seraient réduites à porter les enfants des riches, ces faits détestables ne changeraient pas le destin de l’humanité. Mais que serait une société dont les membres seraient sélectionnés dés la conception selon la « normalité » de leur génome et fichés pour leurs facteurs résiduels de risques (la perfection n’est pas de ce monde) ? L’abondance des propositions, par exemple sur internet , pour analyser les génomes individuels signale que l’avenir de la génétique est dans le diagnostic, où elle excelle, mais qui n’est qu’une retombée médico-policière des promesses avortées de la thérapie génique qui devait nous guérir ! Car on ne connaîtra peut-être jamais cette « médecine des gènes »qui fut très tendance pendant 20 ans, et alors il faudra faire avec la police des gènes : éliminer dans l’œuf les porteurs de défauts « particulièrement graves » et préparer les conditions ad hoc pour la survie optimale des élus du tamis génétique. C’est la fonction de la médecine préventive qui commence avec le diagnostic génétique préimplantatoire (DPI) et se poursuit avec ces fichiers qui commencent à fleurir partout. Alors on pourra éviter bien des maladies aux déficients du génome (tout le monde) en mettant chaque bien-portant dans sa case de malade potentiel, on empêchera les voyous génétiques de sévir, on visera la part de chacun la plus utile pour servir l’économie, on confiera seulement aux plus fiables en ADN les tâches à forte responsabilité,… Peut-on penser cela sans frémir ? Heureux les incrédules qui diront que ces choses n’arrivent que chez Huxley ou Orwell… Ce sont souvent les mêmes qui croient fermement dans les utopies scientistes, plantes transgéniques pour nourrir l’humanité ou réacteur ITER pour faire un nouveau soleil…

Pour les couples procréant par fivète, il sera bientôt irresponsable de faire des enfants aléatoires, comme on faisait avant le progrès. On n’en est encore qu’à 2% d’enfants conçus en éprouvette et qui pourraient donc « bénéficier » du DPI sans servitude complémentaire pour leurs géniteurs. Mais qu’arrivera t-il si la fivète n’est plus cette épreuve pénible que redoutent les futures mères dés qu’on saura produire les ovules en laboratoires par culture d’un échantillon ovarien, éventuellement conservé congelé pendant des dizaines d’années. Mieux, avec cette voie, qui éviterait aux femmes les tourments de la médicalisation (ni stimulation hormonale, ni prélèvement d’ovules), on devrait concevoir des dizaines d’embryons par couple, parmi lesquels choisir un ou deux enfants désirés et garantis normés…incitant alors largement la population à recourir au couplage fivète-DPI.

J’en connais que ce scénario séduit déjà, comme si c’était une nouvelle liberté que de fabriquer seulement des enfants convenables. Mais, par Saint Eugène, avec quels critères ? quelles conséquences pour le droit à être différent ? quelles restrictions des libertés ? Pour quel projet de société ? Personne ne peut croire qu’un tel scénario fonctionnerait sans couacs, ne serait-ce qu’à cause des illusions sur la fonction dominante des caractères génétiques. Mais chacun doit convenir que tout concourt à sa construction ( économie de santé, compétitivité économique, ordre social à l’école, à l’usine et à la rue, nouveaux marchés pour la médecine, l’assurance, l’industrie,… et même angoisse des géniteurs devant les aléas de la procréation). N’est-ce pas suffisant pour en faire une priorité de la bioéthique ? Et alors pour éclairer et interroger les citoyens sur ce qu’ils souhaitent comme membres de l’humanité plutôt que consommateurs du progrès quand chacun est réduit par le souci de son propre sort. Grâce à des procédures adaptées déjà disponibles (conventions de citoyens, voir l'article Les citoyens au pouvoir ! ) on obtiendrait les réponses les plus pertinentes, les moins subjectives, et une ligne démocratique. Il faut faire vite !