Sciences en société au XXI siècle, 239-249, Jean-Pierre Alix, Bernard Ancori et Pierre Petit, CNRS ed, 2008

Jacques Testart, directeur de recherches Inserm, président de la Fondation Sciences citoyennes, critique de sciences, Paris

Je vais poursuivre sur ce que vient de dire Roland Schaer. Il vous a montré la difficulté pratique de construire une procédure recueillant le choix des citoyens. Ce qu’il a évoqué, à la fin de son exposé, sur les nanotechnologies rappelle un peu ce que l’on a entendu ce matin sur la coconstruction du débat, lorsqu’on a déjà décidé de sa finalité. Ce qui paraît le plus important, c’est qu’au moment où les élus vont prendre une décision, il y a un moment sensible. Après tous les débats et controverses qui peuvent s’étaler sur des années, les élus devront prendre, un jour, une décision. À ce moment précis ou dans les semaines qui précèdent, il doit exister des procédures pour les aider à décider, pour lever l’incertitude dans laquelle ils se trouvent. Cela a déjà été dit, nous vivons dans une société du risque. Souvent les scientifiques s’avancent avec cette idéologie de la promesse, que je trouve un peu surfaite. Il y a aussi, il ne faut pas l’oublier, la pression des lobbys, dans lesquels on peut trouver des scientifiques, mais surtout des industriels qui ont intérêt à la diffusion d’une technologie, voire le milieu associatif, pour des raisons idéologiques par exemple. Avec cet environnement, les élus ont beaucoup de mal à décider objectivement.
J’aimerais d’abord noter la différence qui existe entre le militantisme ou la communication au jour le jour, de longue haleine, et l’aide à la décision politique pour trouver le bien commun et l’inscrire dans la loi. C’est complètement différent. Or les mécanismes consultatifs classiques – et Roland l’a laissé entendre – sont encore très flous, je dirais même qu’ils sont insuffisants. Insuffisants au niveau des compétences des débatteurs et de leur objectivité. Je vous renvoie par exemple au dernier livre d’Yves Sintomer. Le choix des citoyens ne peut être productif que s’ils sont complètement informés, ce qui est assez rare, et si d’autre part ils ne sont pas parties prenantes dans le débat, ce qui peut se choisir. Depuis une vingtaine d’années on a connu des conférences de citoyens. Je signale que c’est une procédure qui n’a été définie nulle part. Même pas chez les Danois, qui l’ont inventée. Il n’existe aucun système de suivi qui définit ce qu’est une conférence de citoyens, et des modalités précises pour son organisation et sa réalisation . Or la crédibilité d’une procédure comme celle-là dépend de sa rationalisation et de sa codification. C’est la condition de sa traduction politique. Car, sans traduction politique, le débat citoyen est une amusette. Ce que j’appelle un « leurre démocratique ». Tout débat organisé de ce genre doit avoir pour but une traduction politique, même s’il appartient bien sûr aux élus de traduire de la façon qu’ils auront choisie.
Avec l’aide des Picri (« Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation »), pour associer en Île-de-France des laboratoires de recherche universitaire avec des associations, dans le but d’une résolution précise, la Fondation Sciences citoyennes a financé un juriste qui a fait un travail d’analyse sur l’expérience internationale des procédures participatives assimilées à « des conférences de citoyens ». Nous avons aussi travaillé avec un sociologue spécialisé dans ce genre de questions, Michel Callon, de l’École des mines de Paris, et avec deux juristes, Marie-Angèle Hermitte, du CNRS, et Dominique Rousseau, constitutionnaliste de Montpellier. Nous avons travaillé pendant deux ans pour établir les critères qui nous paraissaient favorables pour tenir des conférences de citoyens. Parce qu’ils n’étaient jamais les mêmes et étaient assez flous. Par la suite, nous avons réuni, en mars 2007, d’autres professionnels du débat démocratique et obtenu une évaluation des éléments que nous avions retenus. Cela nous a amenés à rédiger un projet de loi compatible avec les paradigmes de la démocratie française. Alors là on est très audacieux ! Dans ce projet de loi est définie une nouvelle procédure qu’on appelle la « convention de citoyens ». Pourquoi utiliser ce mot ? Parce que celui de « conférence de citoyens » est tellement utilisé de travers qu’il veut dire tout et n’importe quoi. Nous avons pensé qu’il valait mieux l’abandonner et en prendre un tout neuf. En plus, « convention de citoyens » nous a paru bien sonner.
Je ne vais pas développer ici le contenu de ce projet de loi. Ceux que cela intéresse peuvent trouver un article dans Libération de ce lundi 26 novembre 2007 à ce sujet. Je vous renvoie aussi au site Internet de Sciences citoyennes (http://www.sciencescitoyennes.org)., où vous trouverez le projet de loi et toutes les réflexions sur celui-ci. Dans ce projet de loi, il n’y a finalement rien de très nouveau, mais une formalisation optimale pour la crédibilité d’un avis porté par des citoyens. C’est ce qu’on a voulu faire. Nous n’avons pas réinventé l’eau chaude, mais on a recherché de nouveaux tuyaux pour la distribuer. On s’est aperçus qu’il y a de fortes résistances. Je suis assez fasciné par les possibilités démocratiques des citoyens, et assez déçu qu’elles soient mal utilisées. J’en parle depuis longtemps, je donne des conférences et j’observe sur ce thème des résistances qui viennent d’un peu partout, mais surtout des élus qui se sentent menacés dans leurs prérogatives. C’est une erreur, puisque au contraire on veut les aider dans leur choix à la décision. Il y a même certaines ONG qui ont l’impression que des citoyens qui n’appartiennent pas à leur groupe n’ont pas compétence, n’ont pas démontré leur volonté de travailler au bien commun. Ce constat nous a amenés à définir ce qu’est un citoyen ordinaire, puisque la conférence citoyenne en est peuplée. Qu’est-ce que c’est qu’un citoyen ordinaire ? C’est une personne qui n’appartient pas à une organisation de la société civile, une ONG, un syndicat, etc. Il est profane. C’est donc un profane non organisé. Apparemment, c’est une bête rare mais qui représente la majorité de la population, d’où l’intérêt de lui demander son avis. J’aimerais faire une remarque sur un citoyen particulier : le riverain. Il apparait dans les procédures d’enquête publique, par exemple. C’est un citoyen, mais il est en général en conflit d’intérêts avec d’autres riverains du même endroit et avec tous les gens qui ne le sont pas. Si on veut construire quelque chose à un endroit, cela menace ce qui éventuellement pourrait être fait ailleurs.
Dans les débats publics locaux, il est très difficile d’éviter ce type de citoyen. C’est pourquoi la procédure dont je vous parle est une procédure beaucoup plus ample, elle est nationale. Parce qu’elle doit représenter l’intérêt national, et non des intérêts locaux. Le citoyen ordinaire qui nous intéresse, c’est la majorité de la population ! Pourtant il est inconnu du droit concernant des procédures délocalisées. Je l’ai déjà dit, dans les enquêtes publiques, l’intérêt des riverains fait qu’il peut éventuellement être contraire à l’intérêt général. Lorsque l’ensemble des citoyens est sollicité, pour un référendum par exemple, il n’y a pas de coproduction de la norme, il y a simplement un refus ou une acceptation de textes qui ont déjà été écrits par d’autres. Il n’y a pas non plus de formation avant de donner son avis, donc c’est tout à fait différent. Cette introduction du citoyen ordinaire et des règles que nous avons mises au point nous a amenés à certaines précautions juridiques. À la fois pour cerner le citoyen ordinaire – je vais y revenir –, pour gérer la procédure, pour définir la formation des citoyens et pour assurer l’objectivité de cette formation. Afin de cerner le citoyen ordinaire, nous avons défini deux niveaux de sélection. Le premier est un tirage au sort sur une liste le plus exhaustive possible. Celui-ci va nous permettre de tirer au sort environ 200 personnes (l’expérience montre que c’est suffisant), lesquelles vont être interrogées par téléphone pour savoir si elles sont intéressées pour participer à ce travail non rétribué. Un tiers seulement sera d’accord, soit environ 60 personnes. Deuxième niveau de sélection, la diversité. Parmi ces 60 personnes, on va s’arranger pour avoir une grande représentativité de la population. Pas la représentativité statistique dont on parle toujours, car il faudrait un millier de personnes et nous voulons en retenir une quinzaine.
En effet, les sociologues nous ont appris que c’est le nombre idéal pour avoir un groupe qui fonctionne. Mais on va s’arranger pour avoir une diversité de sexes, d’âges, de professions, d’opinions politiques, de régions géographiques, etc. afin de cerner le citoyen ordinaire. On peut y arriver. Ensuite, il faut gérer la procédure, c’est-à-dire distinguer l’auteur de l’initiative qui demande la conférence de citoyens, l’organisateur de cette procédure et le pilote de la procédure de la convention de citoyens. L’auteur de l’initiative peut être par exemple un élu ou un nombre assez important de citoyens par le biais d’une pétition. Concernant l’organisateur, nous avons pensé qu’il fallait une structure permanente pour organiser la procédure. Il nous semble que la plus adaptée est le Conseil économique et social, en ajoutant une dixième section aux neuf existantes, que nous avons baptisée « Maison des citoyens ». Pourquoi le Conseil économique et social ? Parce que c’est une structure institutionnelle qui accueille déjà des représentants de la société civile, donc qui est très bien placée pour effectuer ce travail. Cet organisateur va ensuite définir la formation en passant par le biais d’un comité de pilotage.
Vous voyez qu’il y a une cascade de responsabilités, ce qui est indispensable pour éviter des tiraillements ou que certains essaient de faire passer leur point de vue. Puisqu’il y a controverse, ce comité de pilotage doit être pluraliste, avec des personnes qui défendent des points de vue différents et que l’on a déjà identifiés. Puis, seul exigence du consensuel, nous demandons aux membres du comité de pilotage de se mettre d’accord sur une formation. Par la suite, les citoyens pourront être en désaccord. Mais au niveau du pilotage il faut un consensus par rapport aux experts ou représentants d’ONG qui interviendront au sein de la formation. Donc le comité de pilotage va identifier les formateurs, décider de l’emploi du temps et des thèmes traités. Ceci est fondamental et doit être transparent. Outre la définition de cette formation, un recueil de documentation opéré par le comité de pilotage sera distribué aux citoyens, s’ajoutant à la formation et aux discussions orales qu’ils auront eues. Cette documentation variée sera choisie afin de préserver le pluralisme des opinions et distribuée par le comité d’organisation. S’y ajouteront des « cahiers d’acteurs », dans lesquels tout individu et toute organisation dans le pays se sentant concernés par le débat pourront apporter leur pierre, leurs arguments. Notre proposition est que les citoyens suivent deux week-ends de formation. Un week-end un peu général dans lequel on essaiera d’être objectif et de leur donner l’état de la question. Et un deuxième beaucoup plus contradictoire, dans lequel des gens viendront apporter des discours qui prétendent une chose et d’autres qui prétendent le contraire. Cette formation est étalée sur plusieurs mois pour qu’ils aient le temps de digérer l’information.
À terme, les citoyens devenus compétents vont convoquer une conférence publique où ils vont faire comparaître des experts, des politiques, ou toutes sortes de gens qu’on ne leur aura pas proposés mais qu’ils auront envie d’entendre et d’interroger. Ensuite, puisqu’il y a concertation entre les citoyens, ils procéderont à un débat interne afin de rédiger un avis, lequel ne sera pas nécessairement consensuel. Ce n’est pas une conférence de consensus. Pour chaque question qu’ils vont traiter, les citoyens vont voter : « Voilà, on est tous d’accord, ou il n’y en a que huit sur quinze, ou il y en a trois », etc. Un point important : il faut prendre des précautions pour assurer l’objectivité de cette formation. Une façon de le faire est de préserver l’anonymat des citoyens, jusqu’à la fin, pour éviter toutes les pressions des différents lobbys. Il y aura également à chaque réunion la présence d’un « facilitateur », en général un psychosociologue, qui sera le seul à faire l’interface entre eux et l’extérieur tout en veillant à ce que chaque citoyen puisse s’exprimer dans le groupe. Toute cette procédure sera filmée, de manière que l’on puisse apprendre de l’expérience pour mieux faire, en détectant par exemple les défauts liés au protocole qu’on avait rédigé. Il y aura donc une évaluation rétrospective qui sera faite par deux experts à l’issue de chacune de ces conventions. L’assemblée de citoyens sera dissoute après avoir remis son avis aux politiques, mais aussi au grand public.
Pour un autre sujet, d’autres citoyens seront choisis, pour éviter que les gens s’habituent à un petit pouvoir, pour qu’ils soient toujours intéressés par le sujet, imaginatifs, créatifs, et arrivent à produire des choses. Le résultat de cette formalisation est d’obtenir un avis crédible, plus crédible que la plupart des expertises, même quand elles sont robustes. Car quand les citoyens s’expriment, ce n’est pas comme des experts sur un pan de connaissance certes important et intéressant, mais qui ne concerne que ce pan de connaissance. Les citoyens agissent comme parents, enfants, comme citoyens du monde, toutes sortes de choses que les experts ne peuvent pas se permettre au risque de perdre leur qualité d’expert. De ce fait, nous demandons que l’avis des citoyens soit pris en compte par les élus. Ils doivent le discuter au Parlement dans la transparence, dire s’ils sont en désaccord avec l’avis des citoyens, en quoi ils ne sont pas d’accord, et qui n’est pas d’accord. Car malgré tout ce sont les élus qui prennent les décisions. Il ne faudrait pas qu’ils puissent dire plus tard qu’ils ne savaient pas quel était l’avis des citoyens et qu’ils ont été favorables à la promotion de telle technologie parce que tel industriel leur avait dit qu’elle était très bien. Ces procédures sont une aide au choix démocratique et créent un nouveau lien entre la société et le pouvoir. Cet élément a une certaine crédibilité pour le reste de la société, qui n’a pas participé à cette conférence de citoyens, mais pour laquelle on espère que les médias auront un certain écho. Il y a là un rôle pédagogique, car on peut penser que, si cette procédure est vraiment bien assumée, les autres personnes de la société, qui sont aussi des citoyens, auront davantage tendance à adhérer à ce qui est ressorti de cette conférence plutôt qu’à tout ce qu’on entend, par exemple, dans les médias jour après jour.

Pour finir, je voudrais juste indiquer que nous devons trouver des parlementaires pour soutenir le projet de loi. Cela ne sera pas facile, mais si on arrive à le faire passer on peut déjà envisager des extensions. Pour toutes les conférences de citoyens jusque-là, le principe est de gérer une technologie déjà disponible dans la société. On pourrait aussi agir en aval, c’est-à-dire au niveau de la préparation de ces technologies, ce qu’on appelle la « technoscience », qui n’est pas la science fondamentale, hélas en perte de vitesse, mais la recherche finalisée. Les citoyens se prononceraient, par le biais de ce genre de conventions, au sujet de la recherche finalisée. Par exemple, tous les cinq ans, un examen du projet quinquennal de recherche serait organisé, en particulier pour analyser la répartition thématique du budget. Cette convention de citoyens ne s’occuperait pas de la cuisine de chaque chercheur mais des grandes orientations, qui pourraient être discutées. Un autre point est d’élargir ce genre de procédures au-delà des technologies, pour parler des différents problèmes de société et réguler des problèmes sociopolitiques. Troisième point, jusqu’ici les conférences de citoyens sont uniques. Il y a eu des essais européens très prometteurs, en particulier sur le fait d’organiser simultanément plusieurs conventions de citoyens sur le même thème. Cela veut dire que le même comité d’organisation nommerait un comité de pilotage dans chaque lieu, dans chaque pays, car cela peut être des pays différents, lesquels auraient à charge de gérer complètement le projet dans leur pays. Simultanément, des groupes de citoyens pourraient travailler de façon indépendante, en recevant des experts différents, et pourraient rendre simultanément leurs avis. En tant que scientifique, je vois là quelque chose de très intéressant. Cela me rappelle nos expériences avec les souris ! On pourrait comparer des réponses à une expérience qu’on a induite. Et si quatre ou cinq conventions de citoyens se font simultanément sur le même sujet dans plusieurs pays d’Europe, voire du monde, et que les résultats sont identiques, cela apporte une grande validité aux résultats qui se sont exprimés.

Je voudrais aborder un dernier point. J’ai dit tout à l’heure qu’il est difficile d’envisager ces conventions de citoyens à un autre niveau que national, à un niveau plus petit. Il faudrait envisager de les conjuguer au niveau local et peut-être d’adapter des procédures plus légères. Ce n’est sûrement pas impossible. Mais en tout cas, au niveau plus large, c’est-à-dire passer de la nation à l’Europe et de l’Europe au monde, c’est certainement possible. La plupart des problèmes qui occupent les conventions de citoyens (les OGM, les nanotechnologies, le nucléaire, etc.) ne sont pas des problèmes d’une région, ni d’un pays, ni d’un continent. Ce sont des problèmes mondiaux. On peut envisager que ce genre de procédures soit une façon de réguler démocratiquement la vie des citoyens du monde.

Questions à Jacques Testart

Bernard Ancori : J’ai un petit problème avec la notion de citoyen qui se définit comme quelqu’un qui n’est pas partie prenante. Les problèmes que vous avez définis à la fin de votre exposé concernent tout le monde. Qui n’est pas partie prenante avec les OGM ?

Jacques Testart : Vous avez raison. Quand je dis que cela ne les concerne pas spécifiquement, c’est qu’ils n’y ont pas un intérêt particulier. Par exemple, j’évoquais des riverains : on va construire une route qui passe devant leur champ, ils sont mécontents, donc parties prenantes. Les OGM, effectivement, cela concerne tout le monde, mais il y a des gens plus concernés que d’autres. Cela peut être des industriels, des militants anti-OGM, des végétariens, etc. Il vaut mieux éviter qu’ils soient dans ce genre de conventions. Nous devons sélectionner des gens qui n’ont pas un intérêt particulier à défendre, car c’est la meilleure façon d’obtenir un avis collectif qui représentera le bien commun.

Bernard Ancori : Oui, j’entends bien. Je comprends bien le concept, mais je me demande, en pratique, comment vous allez pouvoir l’identifier. À partir de quel degré de non-implication considérera-t-on que la personne n’est pas concernée ? Comment allez-vous définir cette barrière ?

Jacques Testart : Écoutez, c’est déjà arrivé. Lors de la conférence de citoyens à laquelle Roland faisait référence sur les changements climatiques, nous nous étions arrangés pour qu’il n’y ait personne qui travaille dans une usine nucléaire ou dont le grand-père avait travaillé dans le nucléaire. On procède à un tri, ce que j’ai évoqué au début de mon exposé.

Christian Bonah : C’est très joli, c’est parfait. Juste une petite question. Il me semble que votre proposition est fort intéressante au niveau de la procédure, en même temps il me semble qu’elle est tributaire d’une vision de ce que j’appellerais la « science faite ». Que faites-vous, quand une procédure dure un an, de l’évolution des sciences et des techniques ? Cela signifie donc que c’est une expérience à renouveler tous les ans ?

Jacques Testart : Oui, il faudrait certainement en faire une par an. On ne peut pas en faire tous les jours si l’on veut qu’elles soient bien faites et si l’on veut que les médias leur donnent un retentissement, sinon elles disparaîtraient. Évidemment, il faut les espacer un peu. C’est pourquoi je disais qu’il faut travailler en aval. Si des gens demandent aujourd’hui de l’argent pour travailler, au hasard, sur des porte-greffes de vigne transgénique, on peut imaginer, puisque c’est une recherche finalisée, qu’une convention de citoyens donne son avis. Or la recherche met un certain temps avant d’aboutir et dépend de crédits. Les chercheurs aujourd’hui doivent déclarer ce qu’ils veulent trouver demain. Il y a quelques îlots privilégiés, paraît-il, en mathématiques ou en physique théorique, où l’on fait de la recherche pour la connaissance. C’est merveilleux. Avant, la science, c’était comme cela. Mais aujourd’hui c’est différent, c’est l’ère de la technoscience, la recherche finalisée. Puisqu’on annonce ce que l’on doit trouver, tout ce qui est imprévu serait qu’on ne trouve pas, même si c’est très rare. Autrement dit, on pourrait facilement recueillir l’avis de la population avant que les choses ne soient fabriquées, pour éventuellement réorienter notre travail en laboratoire.

Frank Hausser : Dans le cas d’une conférence citoyenne sur la nutrition. Tout le monde mange, tout le monde est concerné. Comment faites-vous ? Ma deuxième question concerne la procédure que vous nous avez présentée. Elle est normalisée. Mais ne peut-on pas aller un petit peu à gauche, ou à droite, par rapport à ces procédures que vous avez décrites ?

Jacques Testart : Si une conférence sur la nutrition est organisée, une personne qui travaille chez Danone n’aura pas sa place dans la convention, parce qu’elle travaille dans une industrie qui fabrique des produits alimentaires. On pourrait éviter aussi ceux qui n’ont pas un comportement alimentaire typique. Il faut essayer d’avoir le citoyen ordinaire. Pour répondre à votre seconde question : mes critères sont encore assez flous. Ce sont des lignes d’orientation, une procédure qui peut encore se parfaire, comme un protocole de recherche. C’est pour cela qu’on filme chaque procédure pour en faire l’expertise. On peut la remettre en cause, mais à l’intérieur de cette définition il y aura toujours des cas particuliers, des possibilités d’accommoder. Il faut s’ouvrir à cette démarche. Il ne faut pas être complètement rigide, mais maintenir une certaine rigidité sur le principe pour être crédible. Car je me suis aperçu d’une chose : une conférence de citoyens, cela fait rigoler tout le monde parce que l’on imagine un débat sous un préau d’école, où on lève la main, etc. Les mots ont été galvaudés. Il faut donc arriver à réhabiliter la procédure. C’est pour cette raison qu’on propose de changer de nom. Si on définit assez précisément ce qu’est une convention de citoyens, alors elle peut gagner ses galons, être reconnue par nos élus politiques et devenir une façon habituelle de réguler les controverses.

Yannick Pont : Deux questions très précises par rapport à la réticence des élus. Dans la réflexion qui a mené à définir votre procédure, avez-vous consulté des élus locaux ou nationaux pour connaître leur sentiment ? Ne risquent-ils pas de se sentir dépossédés par le système que vous proposez ? Seconde question : dans le cadre d’une démocratie participative, si l’on met de côté l’ambition tout à fait intéressante de faire participer le citoyen, est-ce que les participants de ce type de débat pourraient être des élus tirés au sort en fonction de leur sensibilité politique ?

Jacques Testart : C’est le Parlement, cela existe déjà ! Les élus sont les cibles des différents lobbys parce qu’ils ne sont pas anonymes pour les groupes d’influence. C’est le cas du Parlement français, du Parlement européen ou d’un autre. C’est ce qu’on voudrait éviter. Les élus n’ont pas leur place en tant que citoyens. Ils ont leur place par la suite, pour récupérer l’avis des citoyens, dire ce qu’ils en pensent et formuler leur décision. Nous n’avons donc pas invité d’élus pour discuter, mais nous en avons rencontré. Ils ne sont pas enthousiastes, mais heureusement certains ne sont pas complètement hostiles. Il faut leur faire comprendre que c’est tout bénéfice pour eux ! Imaginez que les citoyens se soient trompés et qu’ils aient donné leur accord à une technologie qui, après, va se révéler catastrophique. En quelque sorte, cela pourrait blanchir les politiques qui ont suivi l’avis des citoyens. Ils n’auront fait qu’exercer la démocratie. En tout cas, cela peut les aider à éviter d’être uniquement soumis aux pressions des lobbys, qui, il faut le reconnaître, sont surtout industriels. Le risque pour eux est certainement que le souhait des gens ne soit pas d’aller vers toujours plus de technologie.