La Décroissance, juin 2008

Certains citoyens viennent sur la place publique pour clamer qu’un danger menace la santé ou l’environnement. On les appelle « lanceurs d’alerte ». Ils sont souvent au premier rang de l’innovation (chercheurs, ingénieurs,…) ou de la production (ouvriers, paysans,…) mais parfois témoins par hasard (riverains, consommateurs,…). Leur alarme est systématiquement contrée par les institutions, industriels, commerçants qui estiment leurs intérêts menacés et utilisent alors tous les moyens pour faire taire le gêneur (menaces, harcèlement, mise au placard, licenciement, procès…). Et souvent ça marche ! Alors l’alerte s’éteint, chacun peut circuler, il n’y a plus rien à voir !

Mais il est des Cassandre obstinés et ceux-là vont connaître des temps difficiles : brebis galeuses dans leur entreprise sous prétexte de compétitivité, paranos pour leurs proches agacés par leurs « obsessions », ils se retrouvent isolés, conspués, parfois légalement condamnés…Le lanceur d’alerte n’est pas un plaignant ordinaire, il sert l’intérêt collectif. Il y a un siècle il y eut quelques vigiles pour s’inquiéter de l’amiante mais ils furent réduits au silence, ce qui vaut aujourd’hui pour 10 morts par jour ! De même, les plombages au mercure, qui concernent encore 70% des obturations dentaires, furent pourtant dénoncés depuis les années 80 par le Dr J.J. Melet, isolé et finalement suicidé, et il existe actuellement bien des lanceurs d’alerte pour des risques variés : excès de sel dans les aliments industriels, impacts des plantes transgéniques, hécatombe soudaine des abeilles, effets nocifs des champs électromagnétiques, pollution de friches industrielles, fragilité des installations nucléaires, potentiel eugénique des identifications par l’ADN,…

Une loi de protection des lanceurs d’alerte est à l’étude, afin que ne soit plus pénalisés ces vigiles nécessaires, mais elle est freinée par le patronat… Au delà de la légitime protection du citoyen qui alerte, il importe de prendre des dispositions contre le danger annoncé, ce qui exige d’abord que le risque soit confirmé et évalué. C’est pourquoi le traitement de l’alerte passe par l’expertise. Or, depuis que la recherche scientifique a été mise au service de l’industrie, les experts estimés les plus compétents sont aussi les moins indépendants… La Fondation sciences citoyennes demande la création d’une Haute Autorité de l’expertise et de l’alerte afin de parvenir à des analyses non influencées par des conflits d’intérêt, prenant en compte des savoirs variés, acceptant les vues contradictoires, et prenant place dans la transparence. La science marchandisée ne peut plus prétendre détenir seule la vérité car, dans ce monde incertain modelé par la recherche du profit, les risques imprévus augmentent en même temps que les pressions économiques se généralisent. Aussi, dans une réforme profonde de l’expertise, on devra laisser la place qu’ils méritent aux experts étrangers aux institutions ou à la politique de croissance, tels des militants d’associations contribuant à la connaissance et l’intelligence collective.