La Décroissance, mai 2008

Pour ses praticiens, l’Assistance médicale à la procréation(AMP) est le résultat d’inventions récentes qui témoignent de notre (de leur) imagination sans limites. Pour certains détracteurs, l’AMP s’oppose à la nature en créant des situations inédites. Quand les premiers tendent à nier que ces innovations créent de véritables problèmes les seconds refusent souvent, par principe, les artifices de la « procréation artificielle ». En fait, l’AMP n’est pas si inventive qu’on veut le croire, ni tellement « contre-nature » qu’on peut le craindre puisque nos techniques permettent surtout d’imiter chez l’homme des situations qui existent chez les animaux.
Quelques exemples : on sait décupler, grâce à des hormones, le nombre d’ovulations normal de l’espéce humaine, parvenant à faire aussi bien que la souris (une dizaine d’ovules par ponte) mais encore beaucoup moins bien que la grenouille (plusieurs milliers) ; on obtient la fécondation hors du corps (in vitro) comme les animaux aquatiques ; on pratique l’insémination artificielle (IA) en amenant les spermatozoïdes dans les organes génitaux féminins sans assistance du pénis, comme font certains crabes grâce à une patte modifiée ou la pieuvre grâce à un tentacule ; si le sperme est très déficient, on peut injecter un seul spermatozoïde directement dans l’ovule, supprimant toute interaction préalable entre les deux gamètes comme chez ces poissons où un orifice de l’ovule (micropyle) laisse passer un spermatozoïde puis se referme ; on conserve longtemps le sperme en imitant la reine d’abeille ou certaines chauve-souris, et on conserve aussi l’embryon avant son implantation comme font la biche ou le blaireau… Il reste à réinventer : l’hippocampe ou le crapaud accoucheur nous montrent la voie de la grossesse masculine…

Cette tendance des innovations à copier la nature n’est pas spécifique à l’AMP : bien des médicaments et des procédés physiques ont été copiés sur des propriétés des plantes ou des insectes par exemple et Aristote disait déjà que la technique imite ou se substitue à la nature. Mais ce constat n’a aucune valeur éthique. De plus les manipulations génétiques, que le Vatican vient d’ajouter à la vieille liste des péchés capitaux, ne paraissent pas menacer notre espèce (quel OGM voudrions nous devenir ?...) et ne devraient concerner que les espèces cultivées et domestiques. La vraie question porte sur le sens ou la finalité de nos imitations de la nature. On constate alors que le mode le plus rudimentaire de reproduction, le clonage, demeure (pour combien de temps ?) surtout confiné au monde végétal, et qu’au moment d’ avoir presque tout recopié à notre usage nous innovons en préparant ce qu’aucun être vivant n’est capable de réaliser : la sélection de sa progéniture dès la conception. Ironie de l’évolution, ce qui manque encore pour pratiquer largement le diagnostic préimplantatoire (DPI), ce ne sont pas les technologies savantes d’identification de l’ADN et de prévision probabiliste des destins, c’est seulement d’acquérir une propriété élémentaire commune chez les insectes ou les poissons en augmentant notablement la quantité d’embryons (et donc d’ovules) à soumettre aux contrôles. C’est à ce prix modeste qu’on pourra transformer nos procédures d’AMP, et bientôt notre procréation aléatoire, en technologie policière pour traquer l’altérité. Finalement, copier la nature n’était que sagesse !