La Décroissance, octobre 2007

Quand un journal sollicite un biologiste de la procréation pour écrire une rubrique mensuelle, il en attend un point de vue instructif sur toutes ces merveilles et toutes ces horreurs qui accompagnent les nouvelles façons de faire des enfants. Et voilà que le chroniqueur, ravi de faire la science buissonnière, s’égaye dans des terrains où on ne l’attendait pas : depuis janvier j’ai surtout écrit sur les élections (comme tout le monde) et même sur les vide-greniers (comme personne…). C’est qu’il y a peu à dire sur la procréation artificielle en rapport avec l’objection de croissance, sauf affirmations péremptoires sur les choix de vie et l’économie de la santé *. La décroissance n’est pas une nouvelle morale qui viendrait s’immiscer entre la technomédecine, les pulsions de maîtrise et les interdits philosophico-religieux en forgeant une éthique ad hoc pour de nouveaux curés! Aucune recette décroissante pour gérer la transsexualité, les « bébés-médicaments » ou les divers usages de l’embryon… Le recours à des procédures de démocratie parfaitement éclairée restera crucial (nous y reviendrons prochainement), mais on peut déjà critiquer des propositions qui empruntent davantage aux fantasmes qu’à la réalité, comme la grossesse en incubateur ou le clonage. Allons-y sur le clonage car le thème de la conservation/reproduction n’est pas indifférent pour l’économie thermodynamique qui agite les objecteurs de croissance !


On peut facilement démontrer que le clonage (reproduire à l’identique) est impossible puisqu’on ne peut que reproduire un génome (l’ADN) mais ni les autres éléments cellulaires, ni les éléments de l’environnement, ni surtout l’histoire de celui qu’on prétendrait cloner. Avec les végétaux on sait faire (bouturage) et il faudrait s’étonner du fantasme de certains humains souhaitant accéder au sort d’un légume… Toute considération éthique mise à part, le clonage est un leurre d’immortalité et il n’apporterait rien à la communauté humaine. Mais qu’en serait-il si on savait perpétuer la mémoire des gens qui ont déjà vécu ? Mieux qu‘une coquetterie stérile pour reproduire l’enveloppe du mammifère, il s’agirait de ne pas perdre son capital cognitif acquis par des dizaines d’années d’apprentissage à force de travail, de savoir-faire, de coups reçus, à force de culture et d’expériences, question beaucoup moins triviale que celle de la conservation de la viande qui nous constitue ! La préservation de cet acquis, et non de l’inné stupide, annoncerait-elle un progrès en s’opposant au gaspillage humain car « la mort d’un vieillard c’est une bibliothèque qui brûle » ? Plus fort : si on savait insuffler en chaque nouveau-né l’expérience et le savoir de tous ceux qui l’ont précédé, que d’ économies en écoles, erreurs , douleurs ! Mais quel carcan sur chaque nouvelle pousse ! Où on voit que le clonage, même « intelligent » et non élitiste, demeurerait une monstruosité…

(*) voir « Fabrique du vivant et décroissance », Entropia N°3, novembre 2007