La Décroissance, juillet 2007

Quelques questions sur la réalité de ce qu’on appelle « démocratie », et dont la séquence électorale est la moins soumise à évaluation. La fin prochaine des énergies pas chères et l’empoisonnement de la planète entraîneront forcément des restructurations dans le mode de gestion des sociétés. C’est pourquoi il faut être vigilant sur les défauts qui apparaissent déjà, en régime d’opulence.

- Dans les débats, on entendit peu de critiques fondamentales du système que défendaient les candidats « sérieux » (ceux « à plus de 10% ») : Peut-on refuser un monde mercantilisé ? Pourquoi accepter la Bourse ou la compétition permanente ? Comment faire avec l’évidence que la décroissance nous guette ?, etc… Arguments balayés au nom de conséquences supposées incontournables et dramatiques : « ne pas isoler la France », « ne pas faire fuir les capitaux », « ne pas retourner en arrière »… C’est quoi la sagesse ?

- Un tel déni d’opposition radicale a marginalisé tous ceux qui prétendaient qu’ « un autre monde est possible »…sans être capables de le démontrer. On devrait se souvenir que les utopies de 1789 ou 1968 sont arrivées dans la rue avant d’avoir été démontrées. C’est quand la révolution ?

- Le match opposant les deux finalistes à la télé n’a pas seulement montré la dérive de la chose politique en spectacle. Il donnait aussi à craindre les conséquences redoutables d’une défaillance de mémoire, d’un costume inadapté ou d’un bon mot. Compétition des séductions, tac au tac : grattons l’écran pour découvrir notre avenir… Pourquoi ajouter le hasard aux programmes politiques ?

- Puisque Sarkozy est minoritaire chez les moins de 65 ans, sa légitimité ne vaut que selon un protocole arbitraire : il serait tout aussi démocratique d’autoriser le vote à 16 ans ou d’en exclure les déficients mentaux, fut-ce par sénescence… C’est quoi la légalité de la loi ?

- Les sondages ont fabriqué une opinion puis le vote a démontré la pertinence des sondages. Finalement le vote ne sert plus qu’à vérifier le savoir-faire des sondeurs. Encore quelques démonstrations et on pourra s’en passer ! Peut-on vivre d’opinions ?

- Le philosophe Michel Onfray a voté blanc au second tour parce que les sondages annonçaient la victoire de Sarkozy (« si l’élection de Ségolène Royal dépendait de mon bulletin j’aurais voté pour elle » ! a t-il déclaré). Ce qui soutient l’hypothèse précédente… Mais alors, à quoi sert la philosophie ?

- Les Français sont majoritaires pour refuser les plantes transgéniques ou la poursuite du nucléaire , mais aussi les profits boursiers ou le recul des services publics. Ils ont élu celui qui promet l’inverse en presque tout. C’est où la démocratie ?

- La presse a observé la « nette victoire » de Sarkozy, avec 53% des suffrages, alors qu’elle n’admettait 2 ans plus tôt qu’un « certain désaveu » des partisans à 45% d’une Constitution européenne libérale. C’est quoi une majorité nette ?

- L’invitation de Sarkozy par Bolloré relève bien sûr du conflit d’intérêts mais aussi du mépris écologique : le transport du vainqueur vers un squatt de la région sur le vélo du facteur Besancenot – au risque de conflit d’intérêts avec les antilibéraux… - eut été moins scandaleux que l’emprunt d’un jet polluant pour atteindre un yacht inutilement géant. C’est combien la cohérence ?

- Les traîtres devenus ministres chez Sarkozy « pourront garder leurs convictions » dixit François Fillon, comme des joueurs de foot qui s’en vont faire le même métier dans un club plus offrant. C’est combien la conviction ?

- Deux sondages prétendent que les Français approuvent l’escapade de Sarkozy chez Bolloré et le ralliement de Kouchner. Sans les sondages on ne saurait pas pour qui voter, et on s’indignerait inutilement. Déjà finie la liberté ?

- Après la rencontre avec Sarko-Juppé pour préparer le « Grenelle de l’écologie », certains écolos se sont faits admiratifs : « Il est très fort !… » Vrai qu’il l’est pour avoir éludé toute discussion sur le nucléaire, n’avoir rien promis sur les OGM, et maintenu tout son monde à disposition ! Jusqu’où la séduction des coulisses du pouvoir ?

- Le « troisième homme » de l’élection, abandonné par ses lieutenants mercenaires, est contraint de recruter des candidats aux législatives par petites annonces, tandis que des candidats UMP, amis du nouveau président, paient des chômeurs pour distribuer localement leur propagande. C’est loin l’Amérique ?

Cette chronique étant remise un mois avant sa parution, on n’a évoqué ici que l’élection présidentielle.