Les organismes Génétiquement Modifiés (OGM) sont des plantes, des animaux, ou des êtres unicellulaires dont le génome a été volontairement manipulé afin ,le plus souvent, d’y introduire un ou plusieurs gènes étrangers à cette espèce. Le but de cette manipulation est de faire acquérir à l’OGM des propriétés nouvelles, que même l’évolution au long cours n’aurait pas pu inventer puisque, par exemple, il est hautement improbable qu’un gène de poisson parvienne naturellement à intégrer le génome de la fraise … On espère ainsi conférer à l’espèce des qualités inédites, ou lui faire produire des substances utiles. En fait, le même terme « OGM » recouvre des cibles très différentes auxquelles s’attachent des risques et des avantages qui ne sont pas comparables.

Les OGM cultivés en fermenteur Il s’agit d’organismes unicellulaires (levures, bactéries, …), ou de cellules animales ou végétales isolées ,dans lesquels on a introduit une séquence génétique les amenant à synthétiser des protéines d’intérêt. La plupart de ces OGM ont été créés pour fabriquer des substances à usage médical qu’on peut extraire du milieu liquide dans lequel les cellules sont cultivées. De cette façon on produit aujourd’hui de nombreux vaccins, des hormones, etc … Ces OGM n’ont jamais fait l’objet de critiques pour deux raisons : d’une part, le système fonctionne (avantage démontré), et d’autre part, il est maîtrisé (risque toléré). C’est bien parce que ,parmi les OGM commerciaux,ils sont les seuls « présentables » que la propagande pour les plantes transgéniques recourt régulièrement à la confusion.

Les organismes pluricellulaires génétiquement modifiés Des plantes ou des animaux peuvent aussi subir une modification du génome de toutes leurs cellules (la manipulation prend place au moment de la fécondation). Le but peut-être de constituer des outils vivants précieux pour la recherche, qui dispose ainsi d’invertébrés (vers, mouche, …), de poissons, de mammifères (souris, …) ou de plantes(arabette,…)chez lesquels on explore les effets,soit de l’addition de gènes prélevés dans d’autres espèces, soit de l’extinction provoquée de gènes naturels. Ces OGM à usage scientifique sont confinés dans des animaleries spécialisées, lesquelles sont soumises à une réglementation très stricte. Ainsi, comme les OGM unicellulaires cultivés en fermenteurs, les OGM de recherche qui existent depuis plus de 20 ans n’ont pas fait l’objet d’attaques ou de critiques de la part de la société(à l’exception des opposants à l’expérimentation animale).

Le cas des plantes génétiquement modifiées (PGM)d’intérêt agronomique ou industriel est particulier puisque le but est de les mettre en production dans les champs et ,le plus souvent,de les faire consommer par des animaux d’élevage ou des humains. On conçoit immédiatement qu’une telle technologie induit des problèmes nombreux, ignorés avec les autres OGM : sécurité environnementale, biodiversité, santé, économie rurale … Des problèmes analogues se poseront avec les animaux GM d’élevage (poissons, mammifères) dès qu’ils seront lâchés dans la nature.
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Mystique génétique

Alors que la thérapie génique ne parvient toujours pas à assumer son ambition de guérir les maladies monogéniques, la transgenèse animale devrait amener à s’interroger. On a, par exemple, voulu ajouter au génome animal un gène codant pour l’hormone de croissance afin d’augmenter le rendement du vivant (viande, lait…). La souris de laboratoire, ainsi modifiée pour la première fois, s’était montrée stérile et sujette à diverses fragilités. La même manipulation réalisée récemment chez des animaux d’élevage a conduit à des moutons ou vaches diabétiques et à des saumons difformes, sans qu’on puisse expliquer le rapport entre la modification introduite dans le génome et l’effet négatif obtenu.

Pendant trente ans, « on » (les chercheurs, les industriels, les politiques et médias qu’ils manipulent) a fait croire que le génome constituait le « programme » du vivant alors qu’il n’est qu’une source d’informations, on a vendu l’idée du « gène-médicament » et celle d’une nature (bêtes et plantes transgéniques) complètement maîtrisée au service de l’homme. Des opérations rituelles avec sacrifices (« courir contre la maladie ») et professions de foi à répétition (« on est presque au but ») ont culminé avec le Téléthon, attisant la pitié publique au point de recueillir en 30 heures des dons d’un montant(100 millions d’euros) équivalent au coût de fonctionnement annuel de toute la recherche à l’inserm. La part non détournée d’une telle manne ,par son énorme apport aux laboratoires, a eu pour effet de ringardiser presque toutes les recherches en biologie si elles s’abstiennent de privilégier les hypothèses et solutions de la génétique moléculaire .Devant l’échec persistant de la stratégie de thérapie génique, le lobby scientifique et industriel se précipite depuis quelques années vers une autre stratégie de traitement grâce aux cellules-souches, mais entretient la confusion entre thérapie génique et thérapie cellulaire, comme pour éviter de présenter un bilan.L’important dispositif médiatique qui encadre la génomique ne cesse de proclamer ses prétentions hégémoniques : la nouvelle médecine sera celle qui enquête sur le génome pour établir son diagnostic, et utilisera les « gènes-médicaments » pour guérir (J. Testart : Le désir du gène Flammarion, coll. Champs, 1994). Dès lors, tout investissement de recherche hors du génome ne pourrait être que palliatif, en attente de la bonne solution, voire un gaspillage. L’avenir dira ce que cette attitude comporte d’illusions mais l’actualité permet de constater sa volonté globalisante, voire totalitaire. L’exemple des plantes transgéniques est riche d’enseignement à cet égard.

La résistance des plantes (et animaux) transgéniques à se comporter selon les désirs des hommes (comme l’échec des thérapies géniques en médecine) révèle l’inconsistance de notre savoir actuel malgré tous les discours prétentieux. Ce qui introduit le plus grand risque dans les démarches de « maîtrise », c’est justement l’absence de maîtrise à moyen terme des actions engagées. C’est donc bien de science dont nous manquons, par exemple pour comprendre comment un être vivant complexe pourrait incorporer et exprimer un gène totalement étranger, sans que cette modification ne vienne perturber d’autres fonctions vitales.

Les plantes génétiquement modifiées (PGM)

Il n’est pas possible ici de développer toutes les questions en débat autour des PGM (voir « Société civile contre OGM », ouvrage collectif, ed. Yves Michel, 2004). Notons seulement qu’afin de minimiser l’impact des techniques GM sur l’homme et son environnement, on proclame que la transgenèse est dans la nature : les bactéries du sol échangent depuis toujours des gènes de résistance aux antibiotiques, le blé moderne a reçu des fragments de génome de seigle, les mitochondries ou les chloroplastes sont les vestiges de bactéries ingérées par les cellules animales ou végétales, les plantes et les animaux ont incorporé depuis longtemps des séquences génétiques de virus, etc … Tout ceci est certainement exact mais n’apporte pas d’argument réel pour la dissémination immédiate, massive et irréversible des plantes transgéniques, d’autant qu’elles n’ont encore aucun avantage pour les consommateurs. Alors, les industriels et les chercheurs impliqués dans le développement des PGM invoquent le « progrès de la connaissance » ou les « avancées de la science » afin de justifier des essais de PGM menés en plein champ,une pratique jamais vue encore puisqu’elle consiste à considérer l’espace naturel comme un vaste laboratoire.

Comment reconnaître « la science » dans des essais dont le but est de savoir si le hasard a bien fait les choses en conférant les qualités espérées à des végétaux bricolés(l’insertion du transgène se fait par bombardement aléatoire de cellules végétales) puis à en évaluer des qualités commerciales ? En effet, il ne s’agit pas de mieux comprendre des phénomènes moléculaires ou environnementaux pour apporter une pierre à la connaissance mais seulement d’établir le niveau de performance et/ou de nuisance de ces végétaux, afin de leur conférer un éventuel label pour l’usage agro-industriel. Même au prix de cette confusion entre science et évaluation, qu’espère t-on conclure de tels saupoudrages expérimentaux sur quelques parcelles alors que le continent américain entretient depuis plusieurs années 50 millions d’hectares d’OGM, sans qu’aucune conclusion claire n’apparaisse ? Car, ce que les Quichotte en lutte contre « l’obscurantisme » des opposants aux OGM semblent ignorer, c’est ce fait scientifique qu’il n’y a pas de conclusion scientifique à partir des expériences abondantes menées dans le monde depuis 1996.

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Quel bilan pour les PGM ?
En 1965, le Professeur Tournesol annonçait l’avenir de l’agriculture lors d’une conférence de presse tenue en présence du Président de la FAO (voir « Tintin et les oranges bleues » Ed. Casterman, p. 46) : « Je crois qu’il n’est pas trop ambitieux de dire que, dans une dizaine d’années, nous ferons pousser dans le sable non seulement des oranges bleues (…) mais toutes les grandes cultures indispensables à la vie de l’homme (…) le blé (…) la pomme de terre … ». Quarante années plus tard, les Professeurs Tournesol continuent de répandre les mêmes utopies … mais ils sont passés à l’acte. Notons d’abord que les PGM le plus souvent citées par la propagande n’ont pas d’existence réelle : la tomate à longue conservation, première production transgénique commercialisée (1994), a été vite abandonnée , son goût rebutant même les consommateurs des USA (mais les conditions douteuses de son homologation, malgré l’avis des experts scientifiques, expliquent aussi ce prudent retrait) ; le riz produisant la provitamine A est en échec, aucune personne ne pouvant absorber quotidiennement les quelques kilos de riz nécessaires pour obtenir la dose requise de vitamine ; les plantes capables de pousser en terrains très riches en sel ou en terrains désertiques en sont toujours au stade deprojet; quant aux « plantes-médicaments » supposées capables de fournir l’industrie pharmaceutique en substances variées, elles n’ont,comme les animaux GM, jamais produit ces molécules en quantités suffisantes pour arriver au stade de commercialisation,nous y reviendrons.

Qu’en est-il des PGM réellement cultivées (sur le continent américain et en Chine essentiellement) ? Il s’agit à 98 % de plantes capables soit de produire elles mêmes un insecticide, soit de tolérer les épandages d’herbicides. Dans les deux cas, l’effet bénéfique initial s’atténue en quelques années parce que les pestes ainsi combattues se sont adaptées : insectes parasites mutants capables de résister à l’insecticide ; plantes adventices résistantes parce qu’auto-sélectionnées ou devenues elles même porteuses du transgène. Or, la variété des constructions génétiques susceptibles de transformer les végétaux cultivés dans le sens recherché n’est pas très grande et le risque existe (comme avec les antibiotiques) de se trouver démuni devant une nouvelle configuration parasitaire. Ainsi,il existe déjà en Amérique du nord des plantes sauvages résistantes à tous les herbicides usuels .De plus, ces PGM ont des effets indésirables sur l’environnement. Dans le cas des plantes productrices d’insecticides, ces substances toxiques sont produites en continu, et par toutes les parties de la plante, ce qui, par rapport aux traitements conventionnels augmente considérablement, leur distribution à l’hectare (10 000 fois selon certaines estimations) , et donc leurs effets dévastateurs sur l’environnement, particulièrement pour les insectes ou les oiseaux. On doit relativiser les résultats d’une récente étude sino-américaine(Huang et al,Science 308,88-90,2005)qui rapporte une utilisation très réduie des pesticides grâce à la culture de rizGM résistant aux insectes.L’étude porte sur 2 ans,qu’en sera t-il après 3 ou 4 ans ? Dans le cas des plantes tolérantes à un herbicide, celui-ci est alors appliqué en une seule fois(économie de main d’œuvre)et massivement (souvent en quantités doubles ou davantage) avec des conséquences stérilisantes pour la biologie du sol (micro-organismes, vers, etc …).
Il est frappant de constater la volonté d’une action totale ainsi exercée sur les pestes : éradiquer les mauvais herbes et les insectes parasites, telle est la mission (jusqu’ici utopique)de ces PGM. Elle diffère sensiblement de l’attitude traditionnelle du paysan, résolu à préserver sa récolte mais comme par un « pacte armé » avec la nature plutôt que par éradication. Car le paysan sait que l’ensemble vivant auquel il appartient est beaucoup trop complexe, chargé d’interférences, pour s’autoriser des actions radicales au risque de catastrophes imprévues. C’est bien une logique totalitaire qui anime le système PGM, même si les éléments naturels résistent à son ambition. Et il est logique que les industriels ,soucieux des gains à venir,visent la stérilisation du vivant grâce aux brevets qui interdisent de semer le grain récolté,ou à la technologie « Terminator »qui assure la stérilité de la semence GM. L’excès de pesticides présents dans les PGM, soit par génération autonome (insecticides), soit par imprégnation (herbicide), pourrait présenter des risques spécifiques pour l’alimentation des animaux ou celle des humains qui les consomment.De même,certaines molécules issues du transgène pourraient se comporter en allergènes. On peut aussi s’interroger sur l’éventuelle transmission aux bactéries qui peuplent notre tube digestif de propriétés nouvelles induites par les transgènes ingérés. Tous ces risques n’ont pas été sérieusement étudiés tant il est admis que les plantes transgéniques ne font que poursuivre le projet classique d’amélioration des espèces, lequel a fait ses preuves d’innocuité …. C’est confondre la sélection variétale ou les croisements traditionnels avec la production de chimères qui mélangent des espèces très différentes,ou même l’animal avec le végétal.
Aux Etats-Unis,la carence des études de toxicité s’explique par la théorie de « l’équivalence en substance »qui postule que la plante GM est identique dans sa composition à la plante-mère,non modifiée. Une hypothèse hardie qui devrait lever tout interdit sur la viande des « vaches folles »par exemple :la conformation particulière de la protéine prion pathologique ne modifie pas la composition chimique de la viande…Ainsi les américains consomment-ils des PGM sans même le savoir,puisqu’il n’y aurait pas motif à les en informer. En Europe,afin de contrer les réticences à la culture et la consommation de PGM, deux types de mesures ont été proposées, fondées sur une apparence de démocratie. D’abord la « coexistence », c’est-à-dire une réglementation supposée capable de permettre la culture de plantes transgéniques et de plantes conventionnelles sur les mêmes territoires, pari qu’il est certainement impossible de tenir durablement, du fait des phénomènes naturels et culturaux de dissémination.Ensuite l’étiquetage des produits issus de PGM destinés à la consommation humaine, afin de permettre le « libre choix » du consommateur. Là , l’utopie technologique rencontre l’utopie démocratique, qui laisse croire que tout citoyen, même sans avoir été correctement informé, pourrait faire un choix éclairé, plus savant que celui des experts qui se contredisent …Après deux siècles de construction des certitudes, la science avoue qu’elle n’en sait pas plus que tout un chacun sur ce qui intéresserait chacun. L’étiquetage et la traçabilité, sont les deux mamelles de la technoscience incertaine. De plus,80% des PGM échappent à ce « contrôle citoyen »puisque la grande majorité de ces plantes servent à nourrir des animaux dont les produits dérivés(viande,lait,oeufs,…) seront livrés sans signalement à la consommation humaine.

Si des agriculteurs se lancent dans les cultures de PGM, c’est qu’ils en escomptent une économie de main d’œuvre, laquelle est réelle dans un premier temps : suppression des passages d’insecticides, diminution des passages d’herbicides (d’où les doses massives…) mais discutable dans des pays où le chômage paysan est dramatique. C’est aussi que les industriels consentent des avantages initiaux à ces « pionniers du progrès » pour mieux les entraîner vers des pratiques difficilement réversibles. Mais l’illusion de miracles promis par la propagande, n’est certainement pas étrangère à cette disponibilité car la mystique de l’ADN (D.Nelkin et S.Lindee,The DNA mystique.The gene as a cultural icon,Freeman and co.,1994) joue ici comme le comble du progrès et le paysan est fortement soumis aux séductions de la « maîtrise du vivant » Bien sûr, les PGM ne sont en aucune façon la solution aux famines, lesquelles relèvent d’une distribution inégale des produits agricoles, et non de leur insuffisante production. Au contraire, les « pays en développement » qui recourront aux PGM se priveront encore davantage de leurs ressources vivrières et aggraveront leur dépendance par rapport aux pays riches à qui ils achèteront des semences et fourniront de la nourriture. De façon générale, le progrès agronomique n’a aucun besoin des PGM. Il passe par la poursuite de la sélection des variétés les mieux adaptées à chaque terroir( et non par l’adaptation de tous les terroirs à une variété unique) par la rotation des cultures, les associations variétales dans le même champ, le non-retournement des sols … (lire impact des OGM sur les agrosystemes. D’autres systèmes agraires sont possibles. In : société civile contre OGM,ouvrage cité). Au total, les PGM relèvent d’un énorme bluff technologique auquel participent les institutions, et certains chercheurs impliqués, malgré un fiasco déjà évident. C’est qu’un vaste marché est en jeu, celui des semences GM brevetées que les agriculteurs devront acheter, cher, et renouveler chaque année puisqu’il est interdit de les ressemer … Pour les multinationales des biotechnologies, qui ont ajouté à leur domaine d’origine (la chimie) celui des ressources végétales (par rachat des semenciers), il s’agit de créer un marché captif faisant dépendre de leurs intérêts propres tous les aspects de l’alimentation mondiale (variétés utilisées, traitements phytosanitaires, modes de culture, commercialisation …).En ce sens on est en droit de suspecter un certain cynisme des promoteurs car même l’ échec agronomique avéré des PGM n’empêcherait pas le succès de la stratégie commerciale des industriels qui les diffusent !

En réalité, la dissémination prématurée des PGM n’est qu’un maillon du déchaînement technologique qui s’appuie sur une certaine conception du monde et des rapports humains(J.Testart :les OGM,un vandalisme libéral,Libération,7 décembre 2001)
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Les plantes médicaments

Le bilan décevant des PGM oblige les industriels à fournir d’autres arguments pour introduire leur cheval de Troie en Europe. Ainsi les plantes-médicaments permettent de surfer sur un projet médical, susceptible de rallier au progrès génétique nombre d’indécis et d’inactiver les opposants.Pour contrer la méfiance du public, les industriels promettent donc de nouveaux OGM issus de la « moléculture »et destinés à améliorer notre santé. Les académies de médecine, de pharmacie et des sciences viennent cautionner ce projet en exigeant que nul ne puisse « arrêter le progrès ». Elles assurent que les champs délivreront « hormones telle l’insuline, les cytokines, mais aussi interférons, anticorps, vaccins … ».Un récent rapport du Parlement français(les OGM,une technologie à maîtriser,avril 2005)propose des procédures d’autorisation accélérée pour ces végétaux,dans l’intérêt de « la santé publique »…Comme si les PGM étaient une solution nécessaire pour produire des médicaments.

Sur ce terrain de choix parce qu’il permet de convaincre en apitoyant, il y eut d’abord le riz bricolé (golden rice) qui permettrait aux populations carencées de complémenter leur régime en vitamine A, ou encore des bananes et tomates douées de vertus vaccinales. Puis vint le maïs fabriquant une enzyme (lipase gastrique de chien) capable de soulager les souffrances d’enfants atteints de mucoviscidose. Ensuite cette herbe banale (arabette des dames) modifiée pour détecter les mines antipersonnel en changeant de couleur à leur proximité. Enfin le pavot dont la chaîne de synthèse de la morphine se trouve bloquée à l’étape de la réticuline, une substance efficace contre le paludisme. Le bilan annoncé est extraordinairement positif: des plantes alimentaires secrétant des médicaments contre des carences ou des maladies, une herbe sauvage devenue sentinelle vigilante des suites de guerre, une plante maléfique (pour drogués…) détournée vers la guérison de multitudes innocentes …

On ne saurait résister à de telles propositions,lesquelles viennent de s’enrichir , en France,d’un maïs fabriquant des anticorps contre certains cancers … Sauf en vérifiant que « ça marche » aussi bien que le promet la pub, et en exigeant que toute production de médicament, par un alambic ou une PGM, soit confinée dans un espace clos. Etonnamment, chacun de ces miracles génétiques ne vit encore que le temps d’une opération de propagande, puis laisse la place à un nouveau miracle,les retards de réalisation étant aisément attribués au « vandalisme des obscurantistes ».Mais alors,pourquoi ces merveilleux végétaux ne se sont-ils pas épanouis dans des pays, comme les USA, où l’opposition aux PGM reste impuissante et où les essais ne sont pas détruits ?… D’autres promesses concomitantes concernent l’annonce réitérée de mammifères GM supposés capables de produire en abondance dans leur lait des substances utiles diverses (hormone de croissance, soie d’araignée, facteur de coagulation, etc …).

Les mêmes objectifs pourraient être visés par des méthodes alternatives moins invasives, et à moindre risque pour l’environnement, la santé et l’économie rurale, car il existe d’autres façons de produire des médicaments. Par exemple, on pourrait cultiver les plantes transgéniques en serre fermée afin d’éviter la propagation du gène ou la contamination par ses produits, mais « cela coûterait plus cher ». Mieux encore, on pourrait faire fabriquer la protéine d’intérêt par des cellules issues de PGM ou par des levures ou bactéries GM, cultivées en fermenteur comme on le fait depuis longtemps et avec succès, pour d’autres médicaments. Trop cher ? Comment peut-on s’autoriser ainsi à brader le principe de précaution, sans que le public soit informé des enjeux réels, sans qu’il soit impliqué dans la décision ?

Rappelons qu’il existe de nombreux modes de contamination génétique d’une culture à d’autres cultures. D’abord la pollinisation,pour laquelle il est ridicule de fixer une distance de sécurité(200m,2kms,…)puisque le sable du Sahara,qui n’est pas fait pour voyager contrairement au pollen,parvient jusqu’en Europe du nord. La proposition de stériliser le maïsGM devant produire la lipase gastrique ne peut être complètement efficace car la stérilité totale n’est jamais garantie. Mais,la contamination peut aussi résulter des conditions de culture :par les repousses(pendant 10 ans pour certaines plantes),par les flux de graines grâce aux oiseaux, camions, bottes de l’agriculteur, silos, bateaux,…A côté de ces contaminations dites « verticales »,il existe des possibilités de contamination « horizontale » si du matériel génétique passe dans un microorganisme du sol ,puis est transféré dans une autre plante par ce vecteur. Le transfert de matériel génétique entre bactéries est largement documenté, mais on a aussi démontré des échanges entres plantes et bactéries du sol ou entre plantes et champignons parasites. De plus,on ne connaît qu’environ 5% des microorganismes du sol…Même si la fréquence de cette contamination est faible,on ne peut négliger l’hypothèse d’un avantage sélectif procuré par le gène étranger à l’organisme qui l’héberge,et ainsi la prolifération de cet organisme,éventuellement jusqu’à son hégémonie. C’est pourquoi le risque de dissémination ne se dilue pas avec le temps,il se concentre.

Mais il n’est même pas évident que la culture de PGM-médicament soit économiquement avantageuse. Selon la société Meristem, un hectare de son maïs GM pourrait produire la lipase gastrique pour traiter 10 enfants (il en faudrait donc 1 000 ha en France). Ce qui signifie que la production de la protéine est ridiculement faible et donc que le coût de purification sera très élevé. En effet, le maïs, comme tout organisme supérieur, contient de très nombreuses protéines parmi lesquelles il sera onéreux d’extraire la lipase. En revanche, il est aisé de faire produire en abondance puis de purifier une protéine par un OGM unicellulaire. L’argument qu’il existe une différence dans la « finition » de cette protéine par rapport à celle que produirait le maïs ne tient pas : d’une part, l’économie réalisée grâce à la production-purification en fermenteur permettrait de couvrir le coût des modifications éventuelles à apporter à la molécule ; d’autre part, il serait possible de cultiver en fermenteur des cellules de maïs (ou d’une autre plante) GM , après dissociation de quelques plantes-mères (PGM) obtenues en serre. Ainsi sait-on déjà obtenir 23 protéines d’intérêt pharmaceutique par culture de cellules végétales, surtout de tabac (Hellwig et al, Nature Biotechnol. 22, 2004).

En fait, ces démonstrations de « moléculture » présentent surtout l’intérêt pour les industriels des biotechnologies de se refaire une virginité éthique après de retentissantes « erreurs de communication » (par exemple le projet, mis en veilleuse depuis, de stérilisation du vivant par le système « Terminator ») et devant la résistance soutenue de certaines populations (la France est à l’avant garde du combat contre les PGM). Il est significatif que les Etats-Unis, fer de lance des PGM alimentaires dont ils nient tous les risques, s’inquiètent cependant des problèmes spécifiques posés par des plantes à finalité thérapeutique ,et réglementent fortement le « pharming », surtout après l’affaire ProdiGène : en 2002 du maïs transgénique pour produire un vaccin porcin avait contaminé, par ses repousses, du soja destiné à l’alimentation humaine (500 000 tonnes de soja, pour une valeur de 2,7 millions de dollars ont alors été détruites). Les plantes-médicaments pourraient s’avérer redoutables tant leur culture en plein champ présente des risques non maîtrisés. C’est pourquoi le Rapport des « quatres sages » sur les essais d’OGM (C.Babusiaux,J-YleDéaut,D.Sicard,J.Testart :Plantes transgéniques :l’expérimentation est-elle acceptable ? Documentation française, 2003) indiquait que « l’expérimentation de plantes génétiquement modifiées non alimentaires (par exemple les OGM médicaments) n’est justifiée que si la production des mêmes molécules utiles ne peut être obtenue en milieu confiné (notamment en laboratoire) … » Imagine t-on des armoires à pharmacie ouvertes sur la nature ? …

C’est aussi pour échapper à la méfiance du public que les industriels s’orientent vers des PGM de « deuxième génération ». Il s’agirait de recourir à l’avantage conféré par une mutation volontairement induite (ou par un transgène appartenant à la même espèce plutôt qu’à une plante étrangère ou à un animal) afin de se rapprocher davantage du schéma traditionnel de la sélection variétale. Remarquons cependant que, du fait de la vitesse imposée à l’évolution du vivant par ces innovations, et de son pilotage par un appareil technico-commercial surpuissant, ces PGM de deuxième génération conserveront le caractère inédit des premières PGM, capables d’influencer directement, et de façon à la fois imprévisible et irréversible, les rapports des hommes à la nature domestique, et les rapports des hommes entre eux.

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PGM et société
A aucun moment ceux qui veulent imposer les PGM ne posent le problème de la démocratie. Pourtant, plus de 70 % des européens ne veulent pas de ces plantes et les débats les mieux instruits en France (conférence de citoyens de 1998, débat « des quatre sages » de 2002) ont conclu, entre autres propositions, à la nécessité préalable d’un système d’assurance et indemnisation (qui n’existe toujours pas !), et au confinement obligatoire des essais de PGM dans les laboratoires, là où devrait se dérouler toute recherche.Le récent rapport parlementaire(avril 2005),prenant acte de la prudence des assureurs,propose de créer un fonds d’indemnisation dont les citoyens(pourtant hostiles aux PGM)seraient les principaux financiers en devenant « pollués-payeurs »!Devant le mépris affiché pour les exigences de la majorité de la population, et les procédures d’annulation des dispositions de précaution prises par de nombreux élus (communes, départements, régions) comment s’étonner que se poursuivent les arrachages de plantes transgéniques cultivées en plein champ ?

Même si les PGM parvenaient dans l’avenir à démontrer les qualités promises, il restera que la terre a été transformée en immense champ d’expérimentation(plus de 70 millions d’hectares en 2004) avant même que la faisabilité du projet eut été démontrée. Tant de légéreté est la rançon des urgences imposées par une vision à la fois libérale(compétitivité) et archaïque(scientisme) du progrès et ne semble pas avoir eu d’équivalent dans l’histoire des technosciences. Car les peurs nées avec l’électricité n’empêchaient pas les ampoules d’éclairer, de même que la machine à vapeur pouvait bien inquiéter, elle faisait avancer les trains. A ceux qui s’étonneraient que des milliards de dollars soient actuellement investis dans une stratégie dont la faisabilité ne serait pas démontrée et en conclueraient à la réalité des performances des OGM, nous ferons remarquer que les intérêts des agro-industriels se nourrissent de cette croyance largement partagée, selon le principe du bluff bien connu de nombreuses start-up. Car cette croyance suffit à favoriser la stratégie de concentration des lobbies et la domination de l’alimentation mondiale, depuis la graine jusqu’au supermarché, en passant par la vassalisation des paysans.

Les défenseurs des PGM fuient de plus en plus les débats contradictoires. Ayant éprouvé la faiblesse de leur argumentation ils préfèrent les soliloques dans les conférences ou dans la presse,laquelle est largement bienveillante(voir les rôles de l’idéologie du progrès,de la pression des annonceurs publicitaires,de la concentration des médias). De plus, ils reprochent à leurs opposants d’être presque tous « anti-nucléaires » en même temps qu’ « anti-OGM », ce qui démontrerait leur passéisme généralisé. Comme si le souhait d’une humanité épanouie dans une société démocratique et un environnement sain était une conception passéiste ! Mais il y a bien une attitude commune aux pro-nucléaires et aux pro-PGM : ils refusent de reconnaître les faits et les problèmes réels, au risque de créer des problèmes nouveaux et irréversibles, en se persuadant qu’une solution encore inconnue va miraculeusement survenir. Cela explique que les confrontations débouchent stérilement sur l’accusation de « pessimisme » ou « catastrophisme », proférée contre ceux qui ne veulent pas compter sur des miracles pour sauver la planète et ses habitants. N’est-ce pas la croyance en un progrès assuré et irréversible qui amène des gens sérieux à faire comme s’il existait une quelconque démonstration de l’avantage qu’ils présument pour les cultures transgéniques. ? Faut-il se suffire des vagues (et faibles) gains de productivité ,le plus souvent annoncés par les industriels eux-mêmes à partir de bilans non exhaustifs, pour admettre que « les plantes transgéniques, ça marche ! » ? Quand bien même des résultats indiscutables démontreraient bientôt des gains agricoles nets par le recours aux PGM, et plus seulement la promesse de tels gains, l’absence de ces informations dans les instances d’expertise actuelles ,presque toujours favorables à ces technologies,témoigne que la non-scientificité n’est pas nécessairement du côté de « ceux qui s’opposent au progrès »… Et l’acceptation aveugle, par les politiques, de ces expertises tronquées ou intéressées vient confirmer ce jugement.

Si on veut bien retenir les multiples facettes des risques ainsi introduits (consommation animale et humaine de polluants, d’allergisants, résistance aux antibiotiques, dissémination du transgène à d’autres espèces, réduction variétale, hégémonie de quelques multinationales sur l’agriculture, sur l’alimentation, industrialisation des pratiques paysannes, etc …) on conviendra qu’il ne s’agit plus seulement d’expertises scientifiques qu’on pourrait cumuler, mais de la confrontation des populations avec la complexité.Il ne s’agit plus d’isoler tel aspect du problème mais d’en considérer simultanément tous les aspects, dans leurs relations avec le culturel et le social, l’économique et le politique, et sans négliger les contradictions parcourant toutes ces logiques. Réduire cette complexité à l’état de ce qui est compliqué, et ainsi solliciter encore l’expertise des spécialistes ad hoc, c’est choisir de ne rien comprendre, de ne rien résoudre. Dans de telles situations, il ne semble pas y avoir d’autre recours que l’ « expertise » collective citoyenne ,du type « conférence de citoyens »(J.Testart :l’intelligence scientifique en partage. Le Monde diplomatique,février 2005) à partir des informations produites par les spécialistes. Seuls des profanes volontaires,aidés par de véritables expertises exhaustives et contradictoires, sont capables de découvrir solidairement, avec leurs peurs et leurs désirs, les arguments ou intuitions susceptibles de donner du sens à leur choix. Avec toute l’humilité dont la technoscience aurait dû faire preuve avant de nous amener là où la technique a mangé presque toute la science. Le respect des parlementaires pour les choix effectués par une population éclairée est absolument décisif pour que la démocratie ne soit pas noyée dans le marché. Si les effets de l’économie compétitive ne sont pas tempérés par les intérêts objectifs de l’humanité, à quoi ont donc servi vingt siècles de civilisation ? L’homme est resté un voyou pour l’homme, malgré tous ces temps d’éthique ou de morale. Pire, c’est un voyou ignorant.

Jacques Testart, Biologiste de la procréation, Directeur de recherches à l’inserm Vice-Président Fondation Sciences citoyennes(http://sciencescitoyennes.org) et Président de l’Association pour l’information sur les OGM

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