Revue du praticien, 86 : 33-35, 2004

« L’accueil d’embryons » est encore quasi inexistant en France pour au moins trois raisons. D’abord il existe souvent une réticence ultime des couples pour offrir leur embryon, c’est-à-dire leur enfant souvent issu d’une fratrie existante, à un autre couple inconnu. Ensuite, ceux ayant clairement accepté cette procédure doivent s’exposer à de nouvelles épreuves administratives et psychologiques, parfois rebutantes, pour compléter leur dossier médico-social. Enfin, les professionnels rechignent à recourir à cette activité tant que « les bonnes pratiques » ne sont pas mieux définies (et que les moyens adéquats ne sont pas développés). C’est seulement sur cette définition des bonnes pratiques de l’accueil d’embryons que nous intervenons ici, cet aspect ayant fait l’objet de considérations récentes au sein des fédérations de biologistes de l’AMP : BLEFCO et CECOS.

Remarquons d’abord que cette activité ne peut pas être simplement assimilée au don de gamètes pour plusieurs raisons. Outre qu’un embryon déjà constitué est légitimement considéré comme un être(1) humain (et est susceptible de devenir une personne), il est aussi un organisme au génome établi, puisque postérieur aux loteries génétiques qui caractérisent d’abord les méioses mâle et femelle puis l’association des gamètes dans la fécondation. Une telle situation est nouvelle dans la procréation avec tiers donneur puisque le don de sperme, par exemple, est pratiqué en toute ignorance de l’identité du spermatozoïde fécondant, mais seulement à partir de considérations statistiques concernant son géniteur. L’embryon est aussi l’héritier , et donc la source, d’éventuels accidents génétiques (aneuploïdies, translocations, mutations) pouvant affecter la personne née. On ne peut alors se lancer dans l’accueil d’embryons en faisant l’impasse sur les perspectives d’identification de caractéristiques génomiques objectives, potentiellement abondantes. En effet, ces perspectives doivent être sérieusement soupesées avant l’adoption d’une pratique qui pourrait être revendiquée pour une production normative de l’humain. En revanche, l’embryon étant complètement étranger au couple d’accueil, il n’existe pas d’indication pour prendre en compte un éventuel facteur de risque aggravé par l’appariement avec la femme receveuse, à l’exception d’incompatibilité foeto-maternelle (allo-immunisation Rh).

Ces particularités de l’embryon par rapport aux gamètes impliquent une réflexion spécifique, et en particulier dénient toute valeur aux tentatives de plaquer sur l’accueil d’embryons des règles inventées pour le don de sperme, d’autant qu’elles n’ont jamais fait consensus.

Quels embryons proposer à l’accueil ?

Cette question n’est pas étrangère à celle de l’appariement puisqu’elle peut conduire à identifier des catégories d’embryons qu’on attribuerait à des couples receveurs eux mêmes caractérisés . Ainsi J.M. Kunstmann(2) a proposé l’acceptation de tous les embryons « à quelques exceptions près », mais en les différenciant de telle façon que les couples acceptant des embryons « à risque potentiel » seraient servis les premiers. Il peut paraître étrange de faire dépendre la santé publique du plus ou moins grand empressement à procréer. Mais, justifie son promoteur, cette stratégie permettrait, même si personne ne voulait accueillir des embryons « à risque », de leur avoir « laissé une chance de vie, ce qui était le souhait des géniteurs ». On pourrait aussi voir là l’institution d’un eugénisme à deux vitesses, d’autant que l’association entre des « embryons à risque » et une liste d’attente plus rapide pourrait vite s’enrichir d’appréciations biologiques sur le couple d’accueil, au delà de l’impatience manifestée. Dans l’enquête réalisée au sein de l’association Blefco(3), une majorité des réponses (peu nombreuses) propose d’éliminer les embryons issus de femmes de 40 ans (12/19) de couples à risque viral (19/21) ou à risques génétiques (16/18 à 18/18). Les recherches de MST ayant été réalisées dans le bilan préFIV (syphilis, hépatites B et C, Sida) il paraît légitime d’éliminer de la procédure d’accueil les très rares embryons qui proviennent de couples atteints de ces maladies virales. Toutefois les cas où ces embryons auront été conçus avec des précautions spécifiques pour éviter la transmission du virus(4) vont être de plus en plus fréquents. De plus, il n’est pas démontré que l’embryon puisse être vecteur de ces pathologies(5) et de nouvelles connaissances pourraient modifier ce jugement. La Commission génétique des CECOS(6) énumère certains facteurs chromosomiques ou géniques parentaux pour l’exclusion des embryons. Ces facteurs ne conduisant pas au refus d’assistance pour une procréation intraconjugale, on ne comprend pas clairement les motifs qui justifieraient une procédure spécifique pour l’accueil d’embryons puisque la probabilité de transmission à l’enfant est identique dans les deux situations, sauf à contrôler l’embryon lui même avant son accueil. Le danger serait de laisser croire qu’il existe des êtres humains (personnes ou embryons) exempts de risque génétique, ou de tracer une frontière arbitraire entre embryons « sains » et embryons « à risque ». Cependant il serait irresponsable de ne pas offrir au couple d’accueil les mesures de précaution qui auraient été prises si l’embryon avait été transféré chez sa mère biologique.

Quel appariement entre embryons et couple d’accueil ?

La Commission de génétique des CECOS(6) a recommandé des critères d’appariement, essentiellement par analogie avec les règles adoptées par les CECOS pour le don de sperme. Ces règles qui concernent d’abord « l’origine ethnique, le morphotype et les groupes sanguins devraient être appliqués dans la mesure du possible ». Même si ces critères sont dits « classiques », il ne semble pas que la loi les ait entérinés pour le don de sperme, et on s’interroge sur la légitimité qu’auraient les praticiens pour imposer ainsi des règles qui sont plus sociales que sanitaires (sauf pour une éventuelle incompatibilité foeto-maternelle). En l’occurrence, il n’y a pas de raisons médicale ou sociale d’aller au delà de ce que permet l’adoption concernant l’identité de l’enfant. La grande question est celle d’éventuels handicaps d’origine génétique, ou plutôt de risques de handicap puisque les professionnels n’ont pas (pas encore ?) osé envisager le recours au DPI pour tous les embryons susceptibles d’être accueillis.

Selon les CECOS, l’âge du père devrait être limité à 45 ans même si ce critère n’est appuyé sur aucune évaluation quantifiée du risque pris en acceptant un géniteur plus âgé (ce risque est-il supérieur à celui résultant, par exemple, du mode de vie, de l’alimentation, de la profession, etc …). Il est aussi surprenant que les généticiens des CECOS s’efforcent d’apparier les couples donneur-receveur selon l’âge maternel mais n’envisagent aucun avenir pour les embryons issus de pères « âgés » …Concernant l’âge de la mère génétique, les CECOS concèdent, sans la recommander, l’acceptation d’embryons issus de femmes de plus de 38 ans, mais demandent alors que la femme receveuse reçoive cette information. Cette mesure, indispensable pour la surveillance de la grossesse, est légitime puisqu’elle place la mère d’accueil dans la même situation qu’une mère génitrice. Mais pourquoi ne pas proposer une démarche similaire quand l’embryon est issu d’un couple « à risque génétique identifié » ? Une telle mesure pourraît être une alternative aux deux options avancées : celle des CECOS qui proposent d’éliminer ces embryons, et celle de J.M. Kuntsmann qui propose plutôt de les réserver à des couples d’accueils à court délai d’attente. Dans tous les cas, il ne serait légitime de transférer ces embryons « de deuxième catégorie » qu’après information du couple d’accueil et seulement si le risque attribué à l’embryon peut être ultérieurement vérifié à l’occasion du DPN. Le danger existe en effet de réserver aux seules femmes âgées des embryons détenteurs d’un « risque » qu’on serait techniquement incapable de confirmer ou d’infirmer chez le fœtus.

Quand à la proposition d’établir pour les parents des embryons « un arbre généalogique portant sur au moins trois générations », elle reprend l’obsession cecosienne de médicaliser (ou au moins d’étiqueter) sans limite les partenaires extra-conjugaux de la procréation(7). Cette mesure, déjà généralisée dans le don de sperme, n’a pas été montrée capable d’améliorer la « qualité » des nouveaux-nés après IAD par rapport aux enfants conçus naturellement (et en serait-elle capable que ce résultat deviendrait éthiquement redoutable …). Mais, de quel droit et par quelle logique devrait-on instituer des précautions génétiques allant au delà des pratiques sociales des couples fertiles ou de l’AMP intraconjugale ? Ainsi, concernant l’âge des géniteurs en AMP intraconjugale la loi a la sagesse de le limiter à « l’âge de procréer » comme pour signifier que les aides biomédicales ne peuvent que supporter le risque inhérent à la procréation des personnes normalement fertiles.

Arrive alors la question du contrôle de l’embryon, éclairant infiniment mieux le risque réel que les contrôles réalisés chez ses géniteurs. Voilà ce qui est inédit dans l’AMP avec accueil d’embryons et on s’étonne de la pudeur des réflexions, lesquelles n’évoquent pas la perspective du DPI. La Commission génétique des CECOS(6) reçoit l’aval des BLEFCO(8) pour prescrire l’exclusion des embryons « pour lesquels un DPN ou un DPI aurait été proposé au couple donneur … » Pourquoi ne pas réaliser ces mêmes diagnostics en cas d’accueil ? Il est clair qu’à se vouloir d’abord sécuritaire on ne peut que tenter d’éliminer au mieux le risque : exclure l’embryon douteux (hors DPI) ou exclure les embryons « atteints » découverts lors du DPI. Une telle politique ne peut que déboucher sur une proposition radicale et claire : pratiquer le DPI pour tous les embryons afin d’éliminer, avant accueil, toutes les anomalies chromosomiques et les plus fréquentes mutations pathologiques. C’est la logique sous tendue si on veut médicaliser la procréation jusqu’à tenter de faire des enfants génétiquement mieux constitués que ceux de la procréation naturelle.

En conclusion

Comme nous l’avons exprimé dans ce débat(9), il est très important que les couples d’accueil ne s’imaginent pas que l’intervention biomédicale les garantirait contre le risque de malfaçon. De plus, on ne peut objectivement définir les « maladies particulièrement graves » et chaque découverte d’un nouveau gène « de risque » nous fera regretter de l’avoir ignoré le jour précédent. Alors, les embryons « sans risque » aujourd’hui le seront-ils demain ? Et quelles raisons aurions nous de ne pas rechercher une sécurité irréprochable (même impossible) en imposant le DPI pour détecter chez chaque embryon quelques dizaines de pathologies graves ? Toute conception est « à risque » et la pauvreté de nos connaissances est une raison de nous pousser à la modestie. Puisqu’il n’existe pas de véritable contre-indication génétique à la fivète intraconjugale(10) ce constat doit aussi s’appliquer à l’accueil d’embryons, sauf à créer arbitrairement des catégories médicales aux limites toujours repoussées par la sagacité de diagnostics nouvellement disponibles. Il n’existe alors qu’une attitude responsable pour la précaution génétique dans l’accueil d’embryons, c’est de considérer le couple d’accueil comme s’il était le couple géniteur : lui faire accepter les mêmes risques en lui apportant les mêmes garanties. Cette attitude est aussi la seule qui, pourvu qu’on la revendique clairement jusqu’à la faire écrire dans la Loi, peut prémunir les professionnels de l’AMP des poursuites inévitables s’ils se prétendent capables d’encadrer l’accueil d’embryons jusqu’à sécuriser la procréation. Quand les praticiens réalisent, par exemple pour l’AMP intraconjugale, des examens diagnostics préalables, ils informent les patients des résultats et ces patients portent largement la décision d’AMP et donc une bonne part de responsabilité dans les traitements et leurs effets. Mais, dans l’accueil d’embryons tel que certains le proposent, la plupart des informations éventuelles concernant les géniteurs ou l’embryon lui-même resteraient propriété des praticiens (comme dans l’IAD), ceux-ci prenant alors seuls les décisions d’intervention, et ainsi assumant seuls la responsabilité des actes, même si les connaissances scientifiques sont encore très incertaines.Alors,l’inflation des diagnostics aux conséquences médicales mal connues, ou discutables, seraient l’occasion de confusions médicales et juridiques qui ne sont pas dans l’intérêt des patients, ni dans celui des praticiens. Finalement, c’est la prescription prétendument savante de règles d’exclusion ou d’appariement qui expose les patients à l’illusion sécuritaire et les praticiens à des poursuites pour malfaçon.


(1) Nous nommons « être », comme le dictionnaire Robert, « ce qui est vivant et animé, ou supposé tel ». Cette définition qualifie chaque embryon selon son espèce, sans référence transcendantale.
(2) Contribution de Jean-Marie Kuntsmann, Cecos Cochin, courrier électronique, 2002
(3) Enquête préparée pour l’Assemblée Générale des Blefco du 26 Juin 2002
(4) Levy R. et al. Pregnancy after save IVF with hepatitis C virus RNA-positive sperm. Hum. Reprod. 17, 2650-2653, 2002.
(5) Tebourbi L. et al. Failure to infect embryons after virus injection in mouse zygotes. Hum. Reprod. 17, 760-764, 2002.
(6) Conclusions de la commission génétique des Cecos, 10 Septembre 2002
(7) Testart J. Le désir du gène, Flammarion 1994, pp. 116-122.
(8) Conclusions de la réunion Blefco-Cecos du 18 Septembre 2002
(9) Contribution de Jacques Testart et Bernard Sèle, courrier électronique, 28 Octobre 2002
(10) Sèle B. Aspects génétiques de l’infertilité. Andrologie 9, 329-332, 1999.