L’écologiste, 4, 40, 2003

Pour modifier un être vivant, on peut lui donner des propriétés inconnues dans son espèce, grâce à la manipulation du génome de la cellule initiale ("œuf"); c'est la transgenèse, qui produit des "organismes génétiquement modifiés" (OGM). Mais on peut aussi tenter de compenser un défaut génétique en introduisant localement chez le malade un gène "normal": c'est la thérapie génique. Alors que les OGM sont des êtres chimériques inédits, la thérapie pour corriger l'ADN humain défectueux et restaurer un génome "normal", n'est qu'une technologie sophistiquée pour exercer la médecine. Pourtant, c'est avec la même conception réductionniste du vivant, qui prétend que le génome serait détenteur du "programme" vital, que ces projets scientifico-commerciaux se sont imposés, même s'ils demeurent incompétents au regard de la complexité du vivant. Dans un bilan des essais de thérapie génique, en 1999, un expert avouait "qu'il nous faut comprendre pourquoi… ça ne marche pas" (1). La thérapie génique a été expérimentée pour des pathologies très diverses, du cancer aux maladies cardiovasculaires en passant par les myopathies ou la mucoviscidose. Pour cette dernière, par exemple, des dizaines de protocoles cliniques ont déjà administré divers vecteurs (viraux ou synthétiques) portant le gène normal. Mais l'expression du transgène reste aléatoire et transitoire, ce qui oblige à répéter le traitement avec le risque d'induire une réponse immunitaire contre le vecteur.

Une nouvelle stratégie a été proposée il y a quelques années : puisque la mort naturelle des cellules ayant incorporé le transgène ruine l'effet initié, il s'agit de modifier des cellules souches, lesquelles sont capables d'auto renouvellement. La transgenèse est alors effectuée ex vivo : c'est en réalité une thérapie cellulaire réalisée sur des cellules souches prélevées puis réintroduites après correction chez le patient. Cette stratégie ne concerne que les maladies sanguines où des cellules souches (cellules hématopoïétiques de la moelle osseuse) peuvent être prélevées dans l'organisme du patient(2). Ceci explique l'engouement récent des chercheurs pour les cellules souches totipotentes ou le clonage thérapeutique, sources de précurseurs cellulaires qu'on pourrait corriger avant de les transplanter dans divers organes du malade.

Du gène à la protéine active, il y a beaucoup d'imprévus. Rappelons que dans les maladies à prions la protéine pathologique est issue d'un gène normal. Une thérapie génique, même "réussie", comporte le risque que le transgène s'insère en un locus redoutable du génome. Ainsi, pour 2 des 9 nourrissons traités pour déficit immunitaire à l'hôpital Necker, le gène se serait inséré (avec son vecteur viral) au cœur d'un proto-oncogène (gène favorisant un cancer) dont il aurait activé l'expression en provoquant une leucémie. Dans d'autres essais, le vecteur viral, supposé inactivé, a déclenché de graves affections. Enfin, le gène "anormal" pourrait interférer avec le transgène, et les conséquences en sont imprévisibles.

Contrairement aux OGM, disséminés sans nécessité, les essais thérapeutiques sont hors de critique quand ils sont la seule chance, même minime, de sauver une vie. Malgré la persistance des échecs, les tenants de la thérapie génique (qui sont souvent les mêmes que ceux des OGM) affirment que "ça va finir par marcher", et on su créer une telle attente sociale que la "mystique du gène" s'impose partout, jusque dans l'imaginaire de chacun (3), comme le montre le succès constant du Téléthon. Ceci affecte dramatiquement la recherche en biologie puisque le lobby de l'ADN dispose du quasi monopole des moyens financiers (crédits publics, industriels, et caritatifs) et intellectuels (focalisation des revues, congrès, contrats, accaparement des étudiants) tandis que la plupart des autres recherches sont dramatiquement paupérisées. La thérapie génique pourrait,on le souhaite,finir par « marcher ».Peut-être, comme les OGM, apparaîtra t-elle finalement comme un gigantesque bluff, alimenté par l'appétit des industriels, la suffisance des chercheur, la foi dans le progrès, et la détresse des familles affectées.

Références :

1- Marc Péchanski : Thérapie génique : du rêve à la (dure) réalité scientifique. Médecine/Sciences, 5, Mai 1999, 591-593.
2 - Alain Fisher et coll. Thérapie génique des déficits immunitaires. Médecine/Sciences, 5, Mai 1999, 606-614.
3 - Jacques Testart. Des hommes probables. Ed. du Seuil, 1999, p. 37 à 46.