Faut-il interdire les lobbys ? Le Drenche Le Drenche, 17 janvier 2023

Des enquêteurs témoignent que « des toxicologues aux compétences contestées et aux conflits d’intérêts voilés s’activent pour faire dérailler la mise en place en Europe d’une réglementation sur les substances artificielles toxiques à très faibles doses »(Le Monde, 24 juin 2020), ceci après avoir déjà obtenu 7 ans plus tôt le report d'une réglementation européenne sur ces perturbateurs endocriniens. Les « Monsanto papers » révèlent que cette multinationale a commandité depuis 2015 des attaques ignobles pour faire taire le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui estimait que son produit phare (le glyphosate de l'herbicide Roundup) est probablement cancérigène. On pourrait multiplier les exemples : pesticides tueurs d'abeille, Médiator, Chlordécone, tabac et bien d'autres substances toxiques pour lesquelles les lobbies ont réussi à maintenir longtemps la dissémination criminelle, pendant 80 ans pour l'amiante. C'est que les lobbies disposent de forts moyens de persuasion. Ils entretiennent une armée de 38000 agents à Bruxelles (davantage qu'il n'y a de fonctionnaires européens !). Ceux-ci sont surtout mobilisés sur les règlementations concernant l'économie (636 lobbyistes des énergies fossiles ont permis la faillite de la récente COP 27), l'environnement et la santé. Leur stratégie comprend des méthodes de gangsters comme de fabriquer une étude de toutes pièces et la faire signer par des scientifiques achetés. Des universitaires ont démontré que les études aidées par les industriels sont significativement plus favorables à ces « mécènes » que les études financées par l'argent public. Les lobbies se permettent aussi d'écrire les règlements que devraient adopter les institutions, comme des rapports « rédigés » par l'Agence européenne pour la santé et l'alimentation (EFSA) mais qui consistent en un copier-coller de documents fournis par les industriels.

Les lobbies savent aussi semer le doute sur les travaux scientifiques contraires à leurs intérêts, en multipliant des dénonciations absurdes ou en finançant des travaux contraires par des scientifiques mercenaires, voire en poussant les autorités à lancer des recherches dont le résultat sera ininterprétable : pour gagner du temps sur la réglementation une expérimentation officielle sur l'effet du glyphosate dans l'alimentation des rats, a été menée pendant 6 mois alors que l'auteur du travail à charge (GE Seralini), ne rapportait des effets délétères qu'après 2 ans.... Certains lobbies puissants parviennent même à faire barrage à des publications scientifiques. Surtout les conflits d'intérêts des experts sont nombreux malgré une obligation de déclaration, ce qui fait que l'expertise publique est souvent manipulée. La collusion avec divers lobbies de plusieurs responsables d'institutions européennes et françaises, élus, ministères, ou agences d'évaluation, est régulièrement dénoncée mais les lobbies sont toujours partout où se prennent les décisions. Prétendre que le lobbyisme est source d'information pour les décideurs c'est se moquer des citoyens car la plupart des informations sérieuses sont camouflées par les lobbies.

De nombreuses ONG veulent jouer dans la cour des grands en tentant de rivaliser de lobbying avec les multinationales. C'est peine perdue pour des raisons financières. Mais c'est aussi faillir éthiquement à la vocation associative de servir l'intérêt commun, comme le permet le plaidoyer. Le lobbyisme défend des intérêts particuliers et s'oppose par définition à la transparence des décisions et des actions. Croire que le lobbyisme pourrait être d'intérêt public c'est comme imaginer qu'une campagne publicitaire réussie serait le gage de la qualité d'un produit.