L'humanité, 23 janvier 2020

Plusieurs institutions éthiques, savantes et juridiques ont remis en 2019 leurs propositions pour modifier les lois de bioéthique. Même si le Parlement ne retient pas toutes ces propositions en 2020, elles constituent par leur quasi unanimité la base prévisible de notre bioéthique à venir. Surmédicalisation (AMP* ouverte à tous et toutes), contrôle de la procréation (diagnostics génétiques préconceptionnels), sélection anticipée des personnes (tri des embryons généralisé), confusion des espèces (chimères humain-animal) sont quelques perspectives pour la prochaine décennie. Nous n'évoquerons ici que deux usages abusifs de la génétique, version policière et marchande.
Actuellement limité par la pénibilité de la FIV*, le DPI* devrait se généraliser si la fabrication d'ovules en laboratoire à partir de cellules banales, comme celles de peau, vient augmenter considérablement le nombre d'embryons disponibles (plusieurs centaines?), tout en supprimant les servitudes médicales imposées aux patientes. Or, les députés viennent d'autoriser des recherches en ce sens et les sénateurs viennent d'approuver le contrôle génétique de tous les embryons produits par FIV pour en  améliorer l'efficience. On pourra alors favoriser certains profils génétiques dans la population, comme prétendent le faire les « ciseaux génétiques », mais sans modifier un seul embryon. Outre l'intolérance croissante vis à vis des personnes différentes, une réduction rapide de la biodiversité humaine pourrait survenir, et cela juste au moment critique où l'adaptation à un environnement hostile nécessitera des particularités encore inconnues pour résister à de nouveaux fléaux. Qui est assez savant aujourd'hui pour affirmer que telle caractéristique de l'ADN est, à moyen terme, avantageuse ou défavorable pour l'espèce ?
La médecine dite  personnalisée recherche des corrélations entre certaines particularités des génomes et la survenue de diverses affections, mais elle demeure impuissante devant bien des angoisses provoquées par ses prédictions. Quelles solutions procréatives seront proposées aux innombrables personnes dépistées  à risque ? Ne pas avoir d'enfant ? adopter ? changer de partenaire ? ou plus surement passer par la FIV avec DPI. Reste que les données recueillies alimenteront les Big data dont sont gourmandes l'industrie de la santé mais aussi la police, les assurances ou les multinationales de la consommation, bref le contrôle algorithmique des populations. C'est là que conduit une conception de l'humain comme machine améliorable en fétichisant des normes arbitraires et en refusant d'intégrer les individus différents. Les révisions des lois de bioéthique sont aux acquis humanistes ce que les « réformes » sont aux acquis sociaux : des entreprises de démolition déguisées en projets de société et refusant des principes dépassés. La révision n'est que l'occasion d'élargir le possible et la bioéthique devient l'outil nécessaire pour proposer sans cesse de nouvelles licences à une opinion publique préparée pour les accepter. Tout en travaillant à cette évolution des esprits, comme font les publicistes, les faiseurs de bioéthique, stimulés par des chercheurs et des industriels, ânonnent que d'autres pays sont déjà plus avancés  et qu'on ne peut pas rester en arrière en négligeant la compétition et le progrès. Milan Kundera écrivait qu' « être moderne c'est se faire complice de ses propres fossoyeurs ». Alors on va produire de l'humain à la demande, de l'humain conforme à la demande. Et, pour la plupart des gens, ce n'est absolument pas douloureux, plutôt désirable. Qui pourrait croire que cela va s'arrêter ?

  • FIV=fécondation in vitro ; AMP=assistance médicale à la procréation ; DPI=diagnostic préimplantatoire (tri des embryons)