Marsactu, Billet de blog - Chicane - Petit observatoire de controverses, 4 Déc 2018.

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Le mot eugénisme a été inventé dans les années 1880 en Angleterre par Francis Galton, cousin de Darwin. A l’époque, médecins et scientifiques étaient tous eugénistes. Le but était alors d’améliorer l’espèce humaine en allant contrer le progrès médical, qui permet la naissance et la reproduction d’enfants de « mauvaise qualité ». On a donc stérilisé des centaines de milliers d’individus dans le monde pour les empêcher de procréer. Aujourd’hui, une telle pratique est interdite. Mais si l’on reprend cette définition de l’eugénisme, on se rend compte que c’est exactement ce que l’on va faire, beaucoup plus efficacement, avec la sélection des embryons après FIV et les diagnostics génétiques pré-conceptionnels proposés par le CCNE.

En 1982, la naissance d’Amandine grâce à la première FIV avait suscité une énorme passion dans les médias, auprès du grand public et de la classe politique. Scientifiquement, il ne s’agissait pourtant pas d’un exploit extraordinaire, tout au plus de travail bien fait. Ce qui était véritablement nouveau, c’était de sortir l’œuf de l’utérus et de le rendre disponible avec 9 mois d’avance. Disponible pour des examens ou des contrôles génétiques par exemple. Or c’est ce qu’il s’est produit quelques années plus tard, en 1990, de nouveau en Angleterre, avec ce que l’on a appelé le diagnostic préimplantatoire : cela consistait, au début, à permettre à des parents porteurs d’un risque génétique important - même s’ils n’étaient pas stériles - d’aller faire une FIV pour que l’on puisse sélectionner les embryons et en transplanter un dans l’utérus qui soit indemne de la mutation.

Nous avons donc là un choix beaucoup plus pertinent, car il est plus facile de trier et de jeter des embryons déficients que de stériliser des gens. D’ailleurs il s’agit d’une pratique qui est déjà tout à fait acceptée. Cela paraît même de bon sens : pourquoi faire vivre des embryons déficients surtout s’il y en a des normaux à côté, ce qui est en général le cas ? Ce qui signifie que nous allons sélectionner dans l’œuf les individus qui présentent des « qualités », définies de façon très subjectives, pour leur donner la possibilité de vivre et de perpétuer l’espèce. Or ce qui n’est pas perçu, c’est que tous les embryons d’un même couple sont différents. Si l’on en dispose d’une quantité suffisamment grande, la potentialité de caractéristiques humaines est énorme. Les trier pourrait ainsi modifier l’espèce en quelques générations. Qui plus est, nous sommes désormais capables chez les souris – et donc aussi bientôt chez l’Homme - de fabriquer des bébés à partir des cellules de la peau, et ainsi d’éviter complètement les actes médicaux pénibles liés à la FIV, ce qui fait également partie de la tentation eugéniste.

Bienveillant et consensuel, cet eugénisme mou a finalement toutes les qualités et les oppositions y sont de plus en plus faibles. Dans notre société où le marché passe avant tout principe moral, il va dans le sens politique du libéralisme intégral, de la croissance, de la compétitivité sur le marché et de la compétition entre tous. Dans ces conditions-là, effectivement, alors vaut-il mieux avoir un enfant plus fort et plus intelligent que la moyenne, car cela répond à tout ce que le système nous apprend. D’une certaine manière, tout est ouvert en fonction des capacités techniques, du coût des interventions et de la demande des individus. Or comme les capacités techniques augmentent très vite, que le coût des interventions diminue et que la demande pour avoir un bébé en parfaite santé augmente très fortement, l’affaire est bouclée !

Il s’agit d’un problème-clé de la bioéthique : on nous laisse croire que la génétique a la solution et que ces techniques, parce qu’autorisées, sont parfaitement sûres, que l’on va pouvoir tout traiter et vivre plus heureux. Alors qu’en génétique on ne sait presque rien. Il faudra encore des siècles pour que l’on commence à comprendre comment fonctionne un individu avec son génome. On nous présente notamment ces fameuses techniques CRISPR-Cas9 comme étant la clé, qu’avec nous allons tout modifier parce qu’elles ne coûtent rien, qu’elles sont rapides et sûres. Mais ce n’est pas vrai : il existe plein d’études qui montrent que la modification d’un embryon avec CRISPR-Cas9, chez les animaux ou les plantes, provoque des effets que l’on ne maîtrise absolument pas et qui sont indésirables.

Où va-t-on fixer la limite à cette affaire-là ? Personne n’est capable de la fixer. Et les résolutions bioéthiques n’ont aucun sens si elles ne sont pas prises au niveau international. Quels critères va-t-on retenir pour qualifier un enfant de « mauvaise qualité » ? Qu’est-ce qu’on appelle une personne normale, anormale, handicapée, une maladie grave ? Ce sont pourtant des mots que l’on retrouve dans les textes juridiques mais qui n’ont aucune définition. Visiblement toutes ces manipulations séduisent beaucoup et il y a comme un désir malsain d’en passer par là. Cette quête eugénique est aventureuse et appartient à l'idéologie transhumaniste qui veut « améliorer » l'humain comme on améliore une machine mais, puisqu'il s'agit du vivant complexe, c'est au risque irréversible de sa disparition.