L'Express, 18 avril 2018.
également publié sur le site de l'Express le 8 avril 2018 sous le titre Le transhumanisme est le nouveau nom de l'eugénisme.


Les transhumanistes décrivent un processus artificiel d'évolution rapide pour notre espèce qui devrait conduire, avant 2050, à l'apparition du posthumain, doué de qualités exceptionnelles encore inédites. Transhumanisme est le nouveau nom de l'eugénisme. Pourquoi ce mouvement aujourd'hui, alors qu'il ne fait que promettre les performances qui habitent nos mythologies les plus archaïques : héros invincibles, intelligences supérieures, êtres hybrides ou même immortels? C'est, bien sûr, parce que des moyens techniques extraordinaires, particulièrement en génétique, informatique et neurobiologie se développent à toute vitesse, et que ces moyens rencontrent une idéologie infantile toujours intacte, avide de croire que tout est possible. Mais c'est aussi parce que la période est plus grave que jamais, les atteintes fatales à notre environnement rencontrant ou provoquant des situations déjà dramatiques pour certains, bientôt pour tous. Sans oublier la perte des espoirs autrefois cultivés par les croyances religieuses ou politiques. Dans cet océan de doute et de désespoir, les dernières valeurs fiables, celles qui progressent sans cesse et donnent toujours plus à jouir ou à rêver, seraient celles que produisent les sciences et les techniques. C'est déjà ce que découvraient les libertaires du New Age des années 1960, hantés par l'apocalypse nucléaire et la surconsommation, quand leur rencontre avec les premiers informaticiens de la Silicon Valley leur fit miroiter autant l'émancipation du pouvoir étatique que des perspectives de connaissance et de communication libres et sans limites. Les multinationales ont su récupérer ce rêve en devenant les monstres surpuissants qu'on nomme aujourd'hui GAFA, tandis que les réticents se voyaient bientôt opposer le slogan impératif TINA (There is no alternative) ! C'est ainsi que le smartphone s'est imposé comme la première prothèse permanente et universelle.
Depuis une vingtaine d'années, les prétentions transhumanistes, qui faisaient sourire dans l'Hexagone, sont aussi revendiquées par l'Asie et l'Europe. Aucun chercheur français ne semble avoir conscience de contribuer au transhumanisme alors que notre enquête montre que nos laboratoires y oeuvrent comme tous les autres... Afin de rattraper notre « retard », puisque tout cela n'est qu'une affaire de compétition économique, l'Etat français vient d'accorder une aide de 1,5 milliard pour l'intelligence artificielle, tout comme le précédent gouvernement avait lancé un plan de médecine génomique préventive pour 670 millions d'euros, subventions considérables ici mais dérisoires au regard des moyens états-uniens ou chinois. Le choix serait donc concourir ou périr ?
On doit bien sûr s'interroger sur la faisabilité des réalisations promises, par exemple l'immortalité, cheval de Troie du transhumanisme puisque cela répond à une angoisse immémoriale, née de l'absurdité de notre condition mortelle. Pourtant, « résoudre la mort » semble être une hypothèse hardie voire irréalisable, comme l'est aussi le projet d'instituer la santé permanente, en particulier grâce à la génétique. Mais le plus grave n'est peut-être pas que ces utopies accaparent des ressources qui pourraient être mieux utilisées ailleurs. Même si beaucoup de ses promesses s'avèrent finalement vaines, le transhumanisme aura bouleversé notre conception de nous-mêmes et les rapports entre les humains, jusqu'à donner à l'homme la mission de croire qu'il n'est qu'une machine. Plutôt que jouer à cette compétition absurde - car de presque tout cela nous n'avons pas besoin- il faudrait vite réenchanter le monde, comme en inventant un autre imaginaire qui prônerait l'empathie, la créativité, la convivialité, tout ce qui fait l'intelligence véritable, laquelle échappe à la machine que l'on nous somme d'adorer.