« Avec le temps va, tout s’en va… » dit la chanson, mais il reste toujours quelque chose et ce quelque chose est souvent façonné pour que la chanson devienne plus belle, exemplaire, facile à entendre. Ainsi commence t-on à fredonner un peu partout une version simplifiée, un brin people, de l’aventure des pionniers de la fivète (Fécondation in vitro et transfert d’embryon).

UN FILM-FICTION
Après bien des commémorations évoquant tel ou tel « père scientifique » du bébé fondateur Amandine, est arrivé le téléfilm de Sébastien Grall « Les enfants du miracle » (deux épisodes les 26 et 27 mai 2003 sur France 3). Ce film, présenté comme une « fiction librement adaptée » de la genèse du premier bébé-éprouvette français, est cependant réalisé dans l’hôpital Antoine Béclère où Amandine fut réellement conçue et on peut même y apercevoir la véritable secrétaire du héros.
Une telle confusion permet la mise en scène et en images du thème classique du « grand docteur », mystification à laquelle le gynécologue s’est prêté en documentant scénariste, réalisateur et acteur. On ne pouvait pas attendre davantage de modestie d’un homme qui déclare, contre toute rigueur historique, à propos d’Amandine : « cet embryon que j’avais vu au microscope (1) était devenu un vrai bébé » (Le Parisien, 30 juillet 2002)… et qui tient à se faire nommer « père scientifique » des enfants qu’il a délivrés (2).
Le film montre donc un médecin au grand cœur et omnicompétent, presque handicapé par la présence d’un biologiste, lequel est surtout spectateur impuissant des mystères de son incubateur…

L’histoire mérite d’être rectifiée. Au début de la fivète, les patientes produisaient leur ovule naturellement, sans aucune stimulation hormonale. Il était alors très hasardeux de recueillir l’ovule avant qu’il ne soit expulsé du follicule dans l’abdomen, mais cependant après qu’il fût devenu mûr, soit pendant une période de quelques heures seulement. Pour connaître ce moment, j’avais imaginé une méthode prédictive basée sur l’évolution des taux de l’hormone ovulante (LH) dans le sang. Ainsi, je pouvais déterminer l’heure précise pour l’aspiration de l’ovule, et l’indiquer aux gynécologues. Cette méthode n’est plus nécessaire depuis que le cycle ovulatoire est piloté par l’administration de diverses hormones à la patiente, mais elle demeure la façon la plus précise de dater l’ovulation dans un cycle « naturel ». Surtout, elle nous a permis de réaliser de nombreux travaux sur la période préovulatoire (maturation de l’ovule, évolution des hormones dans le sang et dans le follicule) et des dizaines de publications scientifiques dans des revues internationales.
Le film ignore délibérément ces apports scientifiques et leur importance pour la réalisation des actes biomédicaux. Au contraire, dans cette imagerie saluée par la presse comme pourvue « d’une trame historique et scientifique rigoureuse » le biologiste (sans charisme, sans humour et sans vie privée « il s’occupait de reproduction animale parce qu’il avait un caractère de cochon »…) est cantonné devant sa couveuse en attente de la fécondation sur laquelle il semble n’avoir aucune prise.

UNE PRESSE-FICTION
Mais d’autres légendes se fortifient au fur et à mesure des pèlerinages médiatiques : dans le dossier que Le Monde consacre aux 25 ans d’Amandine (Le Monde 2, 17 février 2007) on me fait dire, une fois de plus depuis vingt ans : « j ‘ai décidé d’arrêter »… et cette posture est explicitée par une référence à L’œuf transparent (1986) où j’aurais déclaré ne plus vouloir continuer mes recherches « sur la fécondation in vitro et la congélation d’embryons ». Rappelons ce que j’écrivais dans cet ouvrage (p.33) : « Moi, chercheur en procréation assistée, j’ai décidé d’arrêter. Non pas la recherche pour mieux faire ce que nous faisons déjà mais celle qui œuvre à un changement radical de la personne humaine, là où la médecine procréative rejoint la médecine prédictive ».
C’est l’intuition du diagnostic préimplantatoire (DPI), réalisé quatre années plus tard, qui m’amenait à ce ferme positionnement, justifié ensuite dans une dizaine d’ouvrages.
De fait, si je m’étais opposé à la fivète plutôt qu’à ses dérives eugéniques ou mercantiles, mes travaux ultérieurs témoigneraient au mieux de mon inconstance et au pire de mon imposture. Le Monde poursuit en effet : « Il n’arrête pas pour autant ses recherches (…), en 1994 il participe à la conception du premier enfant français par la technique de micro-injection de spermatozoïde dans l’ovule (ICSI) », ce qui contrevient clairement aux engagements qu’on m’attribuait plus haut, mais qui n’ont jamais été les miens. Car l’ICSI comme la congélation de l’embryon ont toujours été pour moi des artifices « pour mieux faire ce qu ‘on faisait déjà » : aider des couples stériles à procréer, ce qui n’est en aucune façon le cas du DPI, destiné à assurer la « normalité » des enfants. Le chercheur est en droit de mettre en garde contre le mésusage éventuel de techniques qu’il a lui-même introduites, mais, quand la dérive lui semble inéluctable (ce qui était pour moi le cas du DPI), il a le devoir de « s’arrêter » avant. Ce même dossier du Monde indique, sans s’y étendre, un trou de huit années entre ma supposée démission et mon retour (en félon forcément…). Pourtant, dans cette période, j’avais pu donner à l’hôpital Antoine Béclère sa deuxième « première » avec la congélation des embryons, un succès que Le Monde accorde encore au gynécologue, paraissant ignorer que les compétences comme la loi séparent heureusement les prérogatives du biologiste de la procréation et celles du gynécologue-accoucheur.

IMPOSTURE ET FALSIFICATIONS
De telles interprétations de faits par ailleurs aisément vérifiables (ainsi le nom du gynécologue ne figure pas, malgré son insistance, parmi les auteurs de l’article scientifique décrivant notre méthode de congélation des embryons) construisent une histoire qui s’écarte peu à peu de la réalité. En écrivant à mon propos « il quitte (l’hôpital Antoine Béclère) en 1990 », Le Monde évite d’expliquer pourquoi j’en fus chassé quand René Frydman succéda à Emile Papiernick… Finalement, ma « disparition » après 1986, malgré les traces de ma présence active et critique dans mon laboratoire comme dans les abondants débats d’éthique de cette époque, permet d’éviter les contradictions grandissantes entre deux protagonistes, et d’abandonner toute la confiture au plus gourmand. Mais il y eut plus fort : dans le téléfilm qui relate la geste bienfaisante du Pr Frydman , le comble du cynisme est atteint. Mon personnage y meurt en fin de premier épisode d’un cancer de l’estomac (mon organe le plus fragile comme le savent tous mes proches), manière plutôt lâche mais efficace de permettre le soliloque anxieux du gynécologue dans le second épisode, celui où il est justement question des problèmes d’éthique…

Qu’on me comprenne bien, je ne me suis jamais délecté des éloges médiatiques que j’ai toujours jugés excessifs pour ceux qui ont seulement réinventé la fivète, quatre ans après les Britanniques, même si ceux-ci n’avaient pas divulgué leur méthodologie. Mais je conteste à ceux qui n’inventèrent rien, ou si peu, le droit de se vautrer dans l’imposture.

Peut-être ne faudrait-il pas donner trop d’importance à de telles babioles historiques ? Mais alors, pourquoi ces commémorations ?


(1) S’il m’est arrivé 2 ou 3 fois de montrer aux gynécologues du Service un embryon juste conçu, c’était bien avant, quand je venais seulement d’obtenir la fécondation et la division de l’œuf.

(2) Les phases « cliniques » de la fivète, celles qui mobilisent le gynécologue, ne présentent aucun caractère scientifique et sont seulement des adaptations de pratiques courantes, connues bien avant la fivète : induction de l’ovulation par administration d’hormones (depuis les années 60), prélèvement d’ovules (acte identique à la ponction d’un kyste), transfert d’embryon (acte similaire à la pose d’un stérilet), surveillance de la grossesse et… accouchement. Seule la phase initiale comment obtenir l’ovule mûr) était réellement innovante. Il est indéniable (voir bibliographie scientifique) qu’elle fut réalisée par le biologiste, en complément de ses activités propres

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