LE MONDE, 01/04/2008

Quel statut faut-il donner aux "lanceurs d'alerte" ? Scientifiques ou simples citoyens, ils subissent parfois des sanctions professionnelles pour avoir mis en garde contre un danger menaçant la santé ou l'environnement. La sénatrice (Verts, rattachée au groupe socialiste, Nord-Pas-de-Calais) Marie-Christine Blandin organisait, jeudi 27 mars, avec la Fondation Sciences citoyennes, un colloque au Palais du Luxembourg consacré à la législation à mettre en place pour les protéger.

Le Grenelle de l'environnement avait inscrit à l'unanimité dans ses conclusions la proposition d'une loi instituant la protection des lanceurs d'alerte. Ces derniers "sont devenus des acteurs centraux en matière de risque sanitaire", ont expliqué Marie-Christine Blandin et Jacques Testart, président de la Fondation Sciences citoyennes. Plusieurs lanceurs d'alerte sont venus témoigner des difficultés, tracasseries, voire du harcèlement qu'ils ont endurés depuis qu'ils ont donné l'alarme. "Il faut protéger l'alerte et protéger l'expertise", a plaidé le toxicologue André Cicolella.

Car la question de l'expertise scientifique, destinée à évaluer un risque éventuel, et de son indépendance à l'égard des intérêts particuliers, est naturellement soulevée. Dans le cadre de la mission sur la gouvernance écologique que lui avait confiée Jean-Louis Borloo, en charge du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (Medad), Corinne Lepage a rendu, le 1er février, un rapport sur l'information environnementale, l'expertise et la responsabilité. Elle fait douze propositions concernant les lanceurs d'alerte, qu'elle a rappelées lors du colloque.

L'information du public y est considérée comme un devoir, ce qui implique un "devoir d'alerte", accompagné de la création d'un "délit de rétention d'information quand le risque est avéré". Un tel délit se serait appliqué aux cigarettiers qui disposaient d'études sur les dangers du tabac et les ont dissimulées.

Comment être sûr de la qualité de l'expertise, comment associer la société civile et comment gérer les conflits d'intérêts ? "Compte tenu des crédits alloués à la recherche publique", a indiqué Mme Lepage, on ne peut se passer des compétences existant dans le secteur privé, "mais il faut bien savoir qui parle" et pour qui un expert travaille. L'ex-ministre de l'environnement défend une "expertise pluridisciplinaire assise sur le débat contradictoire" et souligne l'importance des "tiers experts, qui n'ont pas de liens financiers".

Il faut, selon Mme Lepage, formaliser le devoir d'alerte dans le cadre du travail et "organiser en interne une procédure qui permette de recevoir et de traiter l'alerte, ce qui suppose qu'il y ait une personne désignée" à cet effet dans l'entreprise. L'"externalisation de l'alerte" ne devrait alors se faire que dans deux cas : lorsqu'il n'existe pas de procédure interne sur le lieu de travail et lorsque l'alerte lancée n'a pas été traitée, dans un délai à déterminer. "L'absence de suites données à l'alerte peut entraîner la mise en cause de la responsabilité de la personne morale", a estimé l'ancienne ministre.

Elle prône également, lorsqu'une alerte a été lancée, la "suspension du risque de développement" qui permet à une entreprise de s'exonérer de sa responsabilité si elle a commercialisé un produit dont elle ignorait à ce moment-là la nature défectueuse.

Comme l'ont défendu plusieurs orateurs, Mme Lepage souhaite la création d'une Haute Autorité de l'expertise, qui aurait à charge de traiter les alertes externalisées du cadre du travail en respectant la confidentialité. Elle aurait à évaluer dans quelle mesure l'alerte ne résulte pas d'une volonté de nuire. En cas d'abus, "ce qui ne veut pas dire toute alerte infondée", a-t-elle précisé, la procédure relative aux dénonciations calomnieuses pourrait être utilisée. Le rapport Lepage suggère que la protection des lanceurs d'alerte s'inspire des dispositions de la loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption, une suggestion là encore avancée par plusieurs orateurs lors du colloque.

"J'ignore le sort qui sera réservé à mes propositions et j'ai des inquiétudes quant à la dureté des réactions des représentants de l'UMP", a déclaré Corinne Lepage. Evoquant la refonte du Medad, Corinne Lepage a "le sentiment que l'espoir très ancien du ministère de l'équipement d'absorber l'environnement va devenir réalité".

Marie-Christine Blandin a elle aussi fait part de ses craintes après avoir vu "le Grenelle de l'environnement se fracasser sur la majorité UMP lors du débat sur les OGM". Selon les informations qu'elle a obtenues auprès du Medad, une loi-cadre traduisant le Grenelle de l'environnement doit être présentée par le gouvernement au cours du printemps, qui listera "tous les sujets à décliner". La protection des lanceurs d'alerte en ferait partie, mais ne serait pas incluse dans les premiers textes législatifs que le gouvernement présenterait en juin-juillet.

Paul Benkimoun


Les pays anglo-saxons protègent un "droit fondamental"

Plusieurs pays ont adopté des dispositions pour protéger les lanceurs d'alerte, ont rappelé deux juristes, membres du CNRS, Marie-Angèle Hermitte et Christine Noiville, lors du colloque du 27 mars sur ce thème. C'est le cas des Etats-Unis, de la Nouvelle-Zélande, de l'Australie, de la Grande-Bretagne ou encore de l'Afrique du Sud. Leurs lois reconnaissent comme fondamental le droit d'alerte et définissent une procédure précise.

"En Grande-Bretagne, la protection est accordée à toute personne travaillant pour une autre, même s'il n'existe pas de contrat de travail, comme dans le cas d'un étudiant thésard", a précisé Christine Noiville. Cette protection s'applique en Nouvelle-Zélande et en Angleterre à tout risque sérieux en matière de santé, de sécurité ou d'environnement.

Aux Etats-Unis et en Nouvelle-Zélande, l'émetteur de l'alerte doit s'identifier, mais son identité demeure confidentielle. La loi américaine est complexe car, selon le domaine concerné, le lanceur d'alerte doit s'adresser à une entité administrative différente. Enfin, s'agissant d'une alerte auprès des médias, la loi britannique la conçoit comme un recours en cas d'échec des autres procédures.