Libération 24 février 2017

Il y a 8 ans, j'intervenais dans cette page pour déminer un exploit toujours à venir : la science allait procéder au clonage d'un mammouth (1). Le plan était de reconstituer un embryon, dit « de mammouth » mais en réalité hybride, en introduisant dans un ovule d'éléphante de l'ADN récupéré sur le cadavre d'un mammouth congelé dans les terres russes depuis quelques millénaires. Cet embryon chimérique serait ensuite transplanté dans l'utérus d'une éléphante qui assurerait son développement. Je soulignais alors les nombreux obstacles dans ce jeu de construction, depuis la fabrique d'un noyau « mammouth » à partir d'éléments disparates d'ADN, jusqu'à la possibilité de gestation inter spécifique, en passant par la viabilité de l'embryon hybride, et je concluais que pour faire revivre un animal disparu il faudrait pouvoir disposer, outre l'ADN, d'autres éléments biologiques définitivement perdus avec le mammouth comme sa cellule ovocyte et sa matrice. Aussi, ce protocole dément, conforme au réductionnisme génétique qui confond l'ADN avec la vie, ne s'expliquait que pour créer l'émoi et la fascination des populations, sa forte médiatisation étant propre au recueil de fonds importants apportés par des gogos amoureux de « la nature ».

Huit années plus tard, The Guardian du 16 février 2017 nous apprend qu'un généticien états-unien réputé pour ses audaces transhumanistes reprend le flambeau, faisant preuve à la fois de clairvoyance (il s'agirait aujourd'hui de créer un hybride plutôt qu'un vrai mammouth) mais aussi de nouvelles utopies. George Church sacrifie l'ambition du clonage « pur mammouth » à deux nouveaux mythes de l'époque afin de convaincre les bienfaiteurs de la science. Son plan comporte d'abord l' « édition génétique » avec la technologie CRISPR-Cas9 pour introduire quelques éléments d'ADN de mammouth dans des cellules de peau d'éléphant. Ainsi la bête sera « crisperisée » comme on customise sa voiture. Ces « ciseaux moléculaires », qui fascinent actuellement notre Académie des sciences(2), viennent d'être proposés par les institutions scientifiques et médicales américaines pour modifier le génome humain. Ainsi, l'équipe de Church apportera dans le génome d'éléphant les gènes responsables de petites oreilles, de graisse sous-cutanée, de longs poils et d'adaptation sanguine au froid, caractéristiques perdues chez ces animaux (mais combien de gènes concourent pour réaliser chacun de ces caractères ? Comment les distingue t-on dans les débris de la molécule congelée d'ADN?). Puis, ces cellules bricolées seront reprogrammées (retour à un état indifférencié) pour que leur noyau devienne apte au succès du 'clonage' quand on le transplantera dans un ovule d'éléphante (mais combien de dizaines d'ovules d'éléphante, cellules que personne n'a jamais vues ! faudra t-il sacrifier pour obtenir un embryon viable ?...). L'autre ambition de l'équipe de Harvard n'est pas mince : il s'agit de faire développer cet embryon de « mammophant » dans un utérus artificiel, retour d'un vieux mythe pour se passer des fonctions gestatrices d'une femelle ; l'argument généreux pour recourir à une machine plutôt qu'à la matrice d'éléphante est de préserver de toute expérimentation ces animaux en danger (mais quelle audace de programmer cette grossesse ectopique que nous sommes bien incapables de réaliser chez la souris!). Le transhumaniste se fait écologiste, c'est bon pour les finances. Il prétend même que les modifications ainsi apportées à l'éléphant d'Asie, le plus proche parent vivant du mammouth, permettront la survie de cette espèce (mais de quelle espèce parle-t-on en créant un mammophant qui n'existait pas?) . Encore plus gonflé : la chimère, produite par troupeaux entiers, permettra de lutter contre le réchauffement climatique en apportant de l'air froid sous la neige piétinée, empêchant ainsi la libération de gaz à effet de serre par le permafrost !...

Les transhumanistes aiment-ils tellement les proboscidiens pour se lancer dans ce projet gigantesque et au succès pour le moins incertain ? On peut penser plutôt que ces marchands d'illusions souhaitent expérimenter dans un contexte « porteur », et rémunérateur, les technologies qu'ils estiment nécessaires pour l' « augmentation » de l'humain, quatre d'entre elles étant réunies dans ce projet fantasque : modification du génome, reprogrammation cellulaire, transfert de noyau dans l'ovule et utérus artificiel. En juin 2016, 25 généticiens états-uniens dont l'inévitable George Church, on lancé un appel à financement, estimé à 1 milliard de dollars sur 10 ans, pour synthétiser le génome humain. Le gentil mammouth mettra du beurre dans les épinards.


(1) Le mammouth pas encore cloné, Libération, 3 mars 2009
(2) CRISPR-Cas9 à l’Académie des Sciences : l’éthique au temps du carnaval