Libération, 11 février 2015.


Fabriquer un enfant avec trois parents est en cours d’acceptation en Angleterre. A noter que cette manipulation est nommée indifféremment « bébé à trois ADN », l’équivalence parent=ADN révélant le réductionnisme génétique de notre époque… De quoi s’agit-il ? Quand une femme possèdent des mitochondries (contenant l’ADN du cytoplasme des cellules) susceptibles de transmettre de graves pathologies à sa descendance, il est proposé de transférer l’ADN nucléaire (celui des chromosomes) de son ovule, dans l’ovule d’une autre femme dont les mitochondries sont normales, la première devenant la mère de l’enfant. En ajoutant l’ADN nucléaire masculin (les chromosomes du père arrivés par la fécondation), on obtient bien une combinaison de trois origines génétiques alors que, depuis toujours, les mitochondries de l’enfant proviennent de la même femme que les chromosomes féminins. Il y a bien des raisons de résister à ces manipulations. Certaines sont scientifiques : quelle démonstration par l’expérimentation animale (de plus en plus négligée) de l’absence d’effets indésirables pour l’enfant ? Les mitochondries étant transmise à tous les enfants par leurs mères depuis le début et jusqu’à la fin des temps, quelles éventuelles conséquences à terme de cette modification héréditaire, première manipulation historique du matériel génétique germinal dans notre espèce? D’autres questions concernent les limites, ou l’absence de limites, des manipulations de l’humanité (1) : l’enfant est conçu de plus en plus par combinaison d’éléments biologiques variés (gamètes étrangers au couple, location d’utérus, remplacement de mitochondries…). Quand le « produit enfant » ne peut pas réellement être celui du couple, ne serait-il pas préférable d’accepter le fait de la stérilité, en s’abstenant de procréer ou en recourant à l’adoption, plutôt que chercher toujours à contourner les handicaps à force d’acrobaties de plus en plus problématiques ?

Il ne faudrait pas se rassurer en arguant du faible nombre de couples qui relèveraient de cette nouvelle technologie car un seul cas particulier peut être l’occasion d’une grande agitation parlementaire, et de nouveaux développements, pourvu que des avocats ardents se placent résolument à la barre de la compassion. N’a t-on pas autorisé le « bébé médicament » (dit aussi « double DPI » pour «double diagnostic génétique préimplantatoire »), une manipulation controversée qui ne s’est appliquée qu’à un seul cas en une dizaine d’années… mais a permis une réception largement positive du DPI ?

Il apparaît aujourd’hui que le « bébé à trois ADN » pourrait ouvrir discrètement, et toujours au nom de la compassion, la voie du clonage humain. Car, à bien y regarder, la brebis Dolly, premier mammifère « cloné » (2), montrait déjà cette double origine du génome femelle puisqu’elle était issue, comme seront nos bébés à trois ADN, de la substitution, par celui d’une donneuse, du noyau maternel d’un ovule conservant ses propres mitochondries. Cependant le père de Dolly est réputé inexistant (il est en réalité confondu avec son grand-père (3)) alors que nos bébés à trois ADN auront un vrai papa, on ne fait pas n’importe quoi ! Pourtant la fabrication de ces bébés équipés de bonnes mitochondries pourrait, comme celle de Dolly, ne pas être suivi mais précédé par la fécondation : plutôt que transférer le matériel nucléaire d’un ovule à l’autre, il est possible de transférer dans un ovule réceptacle (ou dans une cellule d’un autre embryon pourvu des bonnes mitochondries) un noyau embryonnaire prélevé deux jours après la fécondation (stade 4 cellules). Je fais même l’hypothèse que cette manipulation aurait de plus grandes chances de succès : au stade de 4 cellules, toutes les cellules embryonnaires sont encore totipotentes et capables chacune (donc avec des chances de réussite quadruplées) de permettre le développement d’un enfant, comme montré depuis longtemps dans notre espèce…Peut-être est-ce une bonne raison pour camoufler sous les expressions, soit obscure d’« enfant à trois ADN »(c’est ce que préfèrent les médias), soit anodine de « remplacement mitochondrial » (c’est ce qu’ont approuvé les élus britanniques) ce qui serait purement et simplement un clonage d’embryon ? Et ainsi d’engager le débordement de l’unique engagement bioéthique international à ce jour : celui du clonage humain.

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(1) Jacques Testart : Faire des enfants demain. Seuil, 2014.
(2) Par simplification on reprendra ce qualificatif impropre. Le clonage vrai reproduirait des individus possédant le même génome (chromosomes et mitochondries), comme les vrais jumeaux.
(3) note compliquée, seulement pour les curieux et les pervers: la part masculine du génome du noyau transféré est celle transmise par le spermatozoïde ayant fécondé la mère de la donneuse de cellule, car cette cellule somatique n’a pas subi les transformations caractéristiques des cellules germinales (méiose).