site Futuribles, 17 février 2015

Tout au long d’une remarquable vulgarisation, malgré la complexité des thèmes (génétique, informatique, cerveau,…), cet ouvrage nous propose des solutions radicales afin d’éviter une issue dramatique pour notre espèce. Cette issue serait la dégénérescence des humains, particulièrement par la perte inéluctable de nos facultés intellectuelles car nous sommes désormais abrités de la sélection naturelle. Un tel pronostic rappelle celui de Francis Galton, justifiant les pratiques d’eugénisme médical pour stériliser des centaines de milliers de personnes « tarés »à partir de 1907. Ici, la solution proposée est d’apparence moins violente puisque, sans ostracisme à l’égard de quiconque, il s’agirait « seulement » de corriger les défauts particuliers de chacun grâce à un fichage génétique individuel permettant un suivi préventif personnalisé. C’est à dire de permettre à chaque personne de survivre selon des prévisions statistiques déduites de son horoscope génomique. L’auteur est un brillant avocat du transhumanisme dont il prétend que c’est une nouvelle forme d’humanisme, un avis encore très controversé en France.

Plusieurs points méritent clarification. D’abord, cette dégénérescence que les généticiens diagnostiquent dans l’ADN, n’est pas évidente : sommes-nous de plus en plus bêtes, de plus en plus handicapés physiquement ? De nouvelles affections nous frappent mais elles s’expliquent par un environnement dégradé davantage que par de récentes fragilités. Et si le phénomène doit prendre des millénaires avant de devenir gênant, où est l’urgence des solutions drastiques que propose l’auteur ? Comme il l’explique très bien, notre pouvoir d’intervention sur le vivant est en croissance exponentielle, ce qui signifie qu’en différant nos actes de quelques siècles nous augmenterions leur fiabilité, même en cas de dégradation avancée… Il apparaît dès le titre de l’ouvrage, que l’enjeu n’est pas l’évitement ou la correction des défauts mais le dépassement de la condition humaine. C’est toute l’ambiguïté des transhumanistes de nous faire miroiter des solutions bouleversantes pour ce qui ne fait pas réellement problème. Bien sûr, la perspective de la mort n’est pas réjouissante pour la plupart d’entre nous mais elle persistera, quand bien même la durée de vie serait décuplée, ce qui demeure une hypothèse.
Une autre certitude peut-être mise en doute, c’est la capacité des biotechniciens à maîtriser les effets de leurs interventions. Sous prétexte que la vie n’est pas le résultat d’un « projet », ce que nous savions, le transhumanisme veut nous imposer ses projets aventureux. Mais, puisque la complexité du vivant, avec ses facultés d’emergence, est infiniment supérieure à celle du monde inerte où explose la puissance informatique, comment prévoir avec certitude les résultats des manipulations, et s’assurer qu’elles n’auront pas d’effets indésirables ? Plutôt que marier à l’ordinateur notre extraordinaire mais fragile cerveau, ou bousculer les équilibres mouvants de notre génome, la prudence voudrait qu’on ne bouleverse rien avant d’avoir tout compris. La brutalité des changements proposés par les transhumanistes rompt avec la lenteur de la sélection darwinienne, gage de co-évolution harmonieuse des espèces avec leur environnement. Résolument réfractaire à la précaution, Laurent Alexandre néglige que nous sommes« de »la nature et relativise l’hypothèse que les avancées « inexorables » du transhumanisme qu’il souhaite pourraient avoir des conséquences plus désastreuses que la régression génétique qui nous menacerait. Il suffit pourtant de constater notre incapacité à prévoir et maîtriser tous les effets de simples plantes rendues transgéniques pour demeurer modestes! Et comment négliger les quantités énormes de métaux rares et d’énergie (avec les pollutions afférentes) nécessaires aux liaisons et régulations de ce monde branché par tous les pores ?

La « religiosité sordide des transhumanistes » (Alain Damasio) repose sur leur croyance qu’il manque quelque chose à l’homme, et qu’ils sont capables de l’apporter, et même de l’imposer puisque leur programme est annoncé inévitable. Malgré les dénégations de Laurent Alexandre, les dispositifs de contrôle, même s’ils étaient « démocratiquement » attribués à tous, seraient des étouffoirs du vivre simplement. On voit bien que les liens internet ne créent pas de fraternité malgré tous ces « amis »faciles avec lesquels rien de sensible ne se partage. Accordons à l’auteur que nos enfants en redemandent mais cela prouve t-il que notre bonheur s’inscrit dans l’ordinateur et le bricolage de l’ADN ou bien que ces promesses relèvent quelque peu de l’infantilisme ? Le transhumanisme surfe sur l’addiction croissante au virtuel pour remplacer insensiblement les « bioconservateurs » par la « e-génération du Monde 2.0 ».Mais quelle nécessité vitale imposerait « l’hybridation entre l’homme biologique et la machine » ? Le bonheur peut-il dépendre de la régulation algorithmique de nos existences ? Nous avons besoin de médecine pour soigner, pas pour changer d’espèce.

Laurent Alexandre développe savamment un tableau futuriste proche de celui que j’esquisse avec inquiétude depuis longtemps, mais c’est pour s’en réjouir. On peut contester son scientisme, et souvent son cynisme, mais comment, hélas, ne pas être d’accord quand il affirme que les lignes rouges de notre bioéthique seront débordées.