La Décroissance, mars 2011.

C’est la saison qui aggrave ça : pour chaque année qui commence il semble impératif de sonder les populations, les corps de métier, les gens selon leur sexe, leur âge, leur couleur de peau…On leur demande de cocher la case « optimiste » ou « pessimiste » ou « ne sait pas », et on en tire pour plusieurs semaines des articles de presse, des débats à la télé, des discussions autour de la machine à café. Personne n’est capable d’expliquer le pourquoi des réponses ce qui permet de disserter sans fin : « les Français sont plus pessimistes que les Irakiens parce que ceux-là ne peuvent pas tomber plus bas » (même pas sûr…), « les vieux sont plus optimistes que les étudiants parce que leur retraite est déjà acquise » (sans compter la joie d ‘approcher la mort…)…Imaginons que les sondages apportent des réponses exactement inverses, on pourrait les « expliquer » tout aussi bien…ou tout aussi mal et avec des arguments similaires.Même les scientifiques se voient sommés de se déclarer selon ce baromètre, comme si le constat qu’ils pourraient être optimistes, très apprécié dans les médias, avait une quelconque valeur rationnelle, les pessimistes se recrutant parmi ces déficients génétiques que sont les « petits transporteurs de sérotonine » (Le Monde, 18 janvier 2011). Pourtant, si on constate que le monde va mal et que rien ne permet de prétendre que ça va s’arranger pour les salaires, l’emploi, les services publics, le climat, les abeilles ou les ours blancs, alors l’optimisme ne fait que consacrer l’irréalisme, ou la bêtise. Tenu d’envoyer mes « vœux de bonne année » (sans oublier la santé) à quelques personnes, j’ai annoncé que 2011 serait « moins pire » que 2012 (et ainsi de suite…). Cela me classe t-il parmi les optimistes ?...

Finalement, en quoi serait-il négatif plutôt que stimulant de revendiquer son pessimisme ? Rappelons le révolutionnaire Gramsci qui voulait lier « le pessimisme de l’intelligence avec l’optimisme de la volonté », montrant par là que croire à l’avenir implique aussi de vouloir changer le monde. Les Français, qui seraient parmi les plus pessimistes des homo sapiens peuplant actuellement l’anthropocène, deviennent révolutionnaires, c’est à dire optimistes, quand ils combattent ceux qui ont construit un monde où on ne peut être que pessimiste. Cela arrive, comme à l’automne 2010 qui a mis dans la rue « l’optimisme de la volonté »…Mais il existe aussi un « optimisme de l’intelligence », tel qu’exprimé par ceux qui affirment que plus de technoscience nous sauvera des catastrophes dues à la technoscience. Ceux-là on le droit d’être obstinément scientistes dans leurs têtes, mais comment ne pas juger sévèrement ces scientifiques qui profitent de leur statut social pour enrayer toute volonté d’agir politiquement, au nom de leur certitude irrationnelle d’un Salut prochain ? Les climato-sceptiques, qui sont de fameux optimistes, ne sont-ils pas aussi des criminels s’ils influencent l’opinion et les décideurs d’une façon qui permet l’échec de Copenhague et le report indéfini des solutions radicales qu’exige la survie d’une planète vivable? Un pessimiste résigné est moins néfaste qu’un optimiste béat mais c’est quand le noir de ce monde s’impose à l’esprit que surgissent de véritables perspectives de changement.
Alors, pour commencer, « Indignez-vous » !