Le Quotidien du médecin, 5 octobre 2010

Je dois avouer ma surprise de voir un Nobel attribué à Bob Edwards, même si certains de ses amis évoquaient cela depuis longtemps. Il ne s’agit pas de nier l’apport décisif de ce biologiste à la procréation médicalement assistée mais c’est comme si, dans l’air du temps de la technoscience, les jurés du Nobel avaient voulu récompenser un entrepreneur . Ce n’est pas un hasard si les médias interrogent depuis quelques heures des gynécologues plutôt que des biologistes, et aucun fondamentaliste... Bob Edwards a su mener avec ténacité, presque obsession, ce dur chemin dans un environnement très hostile. Le succès (Louise Brown) obtenu après 15 ans d’acharnement, il s’est attaché à créer une revue (Human Reproduction) dédiée à la fertilité humaine en amenant tous les praticiens (biologistes, gynécologues, généticiens, psychologues,...) et aussi quelques chercheurs à faire connaître leurs travaux pour le progrès de l’AMP. Il a réussi tout cela, et de plus avec beaucoup de simplicité et dans la bonne humeur. Mais cela mérite t-il un Nobel? Je croyais cette récompense réservée à des découvertes, pas à des inventions. Dans le champ de la procréation plusieurs chercheurs ont été indispensables pour que réussisse la FIV humaine (et ils travaillaient bien sûr sur des animaux). Ainsi Charles Thibault (France) et MC Chang (USA) qui ont réussi simultanément et indépendamment en 1958 la FIV chez le lapin. Ainsi David Whittingham (GB) qui, avec le modèle souris, permit de comprendre la maturation de l’ovocyte, les phénomènes biophysiques de la cryopréservation, etc... ou encore R Yanagimachi(USA) également chez la souris qui produisit la plupart des avancées biologiques concernant l’ovule, le spermatozoïde ou l’embryon, valables aussi dans notre espèce.

J’ajoute que, hors de la procréation, j’attendais que le Nobel soit attribué au chercheur qui a permis la plus grande découverte depuis un demi siècle: le Japonais Yamanaka qui a montré que des cellules d’adultes peuvent retrouver leur virginité embryonnaire, extraordinaire source de travaux fondamentaux ainsi que de développements médicaux.

Rappel sur l’irruption de l’AMP en France : Il faut noter que l’AMP c’est d’abord la FIV, les gestes médicaux qui la précèdent ou qui la suivent étant peu innovants par rapport à certaines pratiques gynécologiques. Et la FIV, c’est une technologie inventée par des biologistes de la procréation animale. Ce n’est pas un hasard si aucun pionnier de la FIV humaine n’était médecin: R Edwards(GB), de la « fac des sciences », A Trounson (Australie) vétérinaire, J Testart (France) agronome... Tous ont su convertir les travaux menées chez l’animal (et qui ne vaudront aucun prix Nobel...) à l’espèce humaine. Quand j’ai obtenu les premiers veaux nés de transfert embryonnaire chez une vache porteuse par une méthode non chirurgicale en 1972, la nouvelle fut annoncée par le Quotidien du Médecin... J’en fus surpris et de jeunes médecins s’en montrèrent intéressés... D’où mon invitation par le Pr Papienick à rejoindre son Service à Clamart en 1977 pour des recherches sur l’ovaire humain. En 1978 l’annonce du succès britannique de la Fivète me propulsa sur ce thème. J’ajoute que Bob Edwards n’ayant pas encore publié les protocoles précis pour ce succès, ce n’est pas tant la connaissance d’une bonne recette que l’aiguillon du faisable qui nous guida... D’où la mise au point de techniques différentes de celles d’Edwards, mais qui conduisirent en 4 années au premier succès français...
Voir Histoire de la fivète : des éprouvettes revisitées.