La Décroissance, avril 2010.

Le pouvoir use et abuse des débats publics. Son ambition? Donner aux citoyens l'illusion d'influencer les décisions politiques. Ne soyons pas naïfs. Refusons la consultation pour exiger la participation !

Le débat public passe pour un recours à la démocratie. Dés qu’il faut régler une controverse sociétale, de l’usage des nanotechnologies à la définition de l’« identité française », le pouvoir propose un « débat public ». Et presque toutes les associations en redemandent, croyant faire ainsi avancer les intérêts des citoyens. « On veut un débat public ! », exigent les défendeurs de la société civile. Sur ce point, le Grenelle a fait l'unanimité. Comme si l’accolement de deux termes connotés positivement créait l’irruption de la liberté, de la sagesse ou de la justice.

Arnaque déposée On oublie que « débat public » est une marque déposée dans la loi depuis 2002, et que son exploitant autorisé est une structure désignée par l'État : la Commission nationale du débat public (CNDP). Or, cette procédure n’est pas le meilleur moyen de conduire au respect de l’intérêt commun, surtout quand il s’agit d’enjeux concernant toute l’humanité. Le jeu consiste à faire parler des experts (information) puis à laisser s’exprimer le public (débat) avant qu’un rédacteur labellisé récapitule (bilan), ce qui permettra au pouvoir de faire des choix (arbitrage). On peut reprendre chacune de ces phases de manière plus critique et mettre en cause le choix des « experts » : ce choix ne préjuge t-il pas du contenu de l’expertise ? Pourquoi pas des experts de la société civile? ; le débat : les citoyens qui s’expriment, toujours rares, sont-ils représentatifs de l’intérêt commun? ; ou le bilan : comment retenir et pondérer équitablement l’ensemble des avis exprimés ? Mais la grande arnaque est bien de laisser croire à l’objectivité de l‘arbitrage, lequel se montre toujours favorable à la croissance et à la compétitivité. Voilà pourquoi les choix politiques précèdent le débat public !

Cause toujours Il semble que certaines associations ayant voulu jouer le jeu soient aujourd’hui refroidies par ces simulacres, mais elles critiquent le déroulement de tel débat public plutôt que leur finalité commune. Ainsi, les Amis de la Terre regrettent avec raison que des sujets importants comme les enjeux globaux ou l'utilité sociale aient été évacués du récent débat sur les nanotechnologies. Mais ils ne semblent pas remettre en cause cette caricature de démocratie qu’est naturellement la stratégie du « cause toujours, ça défoule ! ». Le Grenelle a montré l’aptitude collaboratrice de nombreux résistants vite inféodés. Et les leurres démocratiques ont tendance à se multiplier.

Pour la convention de citoyens La leçon à tirer des compromissions passées devrait être de refuser la consultation et d’exiger la participation, c’est-à-dire la démocratie active. La convention d’Aarhus, ratifiée par l’Union européenne, garantit le « droit de participation du public au processus décisionnel » ce qui n’est pas le droit banal à être consulté. On doit toujours rappeler qu’il est possible de concevoir une information objective et contradictoire, d’éviter la prééminence d’intérêts particuliers, de mesurer le poids respectif d’avis variés et de laisser le public articuler lui- même ses propositions. La « convention de citoyens » diffère sur tous ces points du débat public (Quelques différences entre débat public et convention de citoyens). Grâce à cette procédure, la majorité de la population (tous ceux qui n’y ont pas participé mais dont les intérêts sont les mêmes que ceux des jurés tirés au sort) peut disposer de conclusions claires, informées et crédibles afin de soutenir ses mobilisations. Mais il faut aussi que le pouvoir ne méprise pas les avis qu’il a lui-même sollicités, et se nourrisse de cet apport qui est le plus pertinent pour sa décision… En sachant qu’il sera jugé là-dessus.