Colloques de Menton : La bioéthique : enjeux et perspectives, 10 octobre 2009.

Je tiens tout d’abord à préciser que mon point de vue reste relativement marginal, voire isolé de celui que partage la majorité de mes confrères. Je vous prie donc de considérer mon intervention comme la simple expression de l’opinion d’un ancien technicien de la procréation assistée.

Je constate que le clonage ne fait plus partie, semble-t-il, des questions suscitant l’intérêt du public. Je vous rappelle que cette pratique consiste à fabriquer un embryon au génome totalement identique à celui d’un patient dans le but d’en prélever des cellules afin de soigner le malade. Le clonage thérapeutique faisait encore partie, il y a quelques années, des discussions de bioéthique mais a été éclipsé par les cellules souches embryonnaires. En effet, les scientifiques pensent désormais que les cellules souches présentent une meilleure efficacité thérapeutique. J’en viens donc à me demander si nous parlerons encore des cellules souches dans quelques années, ou si elles seront au contraire remplacées, comme le clonage, par une nouvelle technique.
Il n’est pas certain, par conséquent, que les questions occupant actuellement l’essentiel des débats de bioéthique soient celles qui requièrent notre plus grande attention. Par ailleurs, je ne suis pas totalement convaincu que ces débats prennent réellement en compte ce qui devrait être les principaux enjeux de la bioéthique. Je constate en effet que le bien-être des enfants issus d’actes de procréation assistée est certes évoqué, mais ne constitue pas la question déterminante pour la définition des lois de bioéthique correspondantes. .
De même, les bouleversements anthropologiques que ces techniques de procréation sont susceptibles de générer s’effacent généralement des débats au profit d’arguments d’utilité, qui consistent essentiellement à satisfaire les désirs d’enfants exprimés par des couples. Or, il me semble particulièrement difficile de définir des limites éthiques si l’on pose comme condition nécessaire de répondre au « désir d’enfant » exprimé dans la société. Un autre argument d’utilité consiste à vouloir empêcher la naissance d’enfants anormaux. Cette volonté conduit à la définition d’une norme biologique, qui soulève des problèmes majeurs. De quelle manière en effet pouvons-nous définir l’intolérable pour des parents ? .

D’une manière générale, les débats concernant les mères porteuses, l’anonymat du don de gamètes, la sélection d’embryons ou la recherche sur l’embryon ont tendance à négliger les enjeux anthropologiques, sociaux et psychologiques pour se concentrer sur la satisfaction de la demande. Les débats négligent également les conséquences à long terme pour l’espèce humaine que ces techniques pourraient générer. Par exemple, la gestation pour autrui soulève des problèmes d’inégalité sociale entre les mères porteuses et les couples ayant recours à leurs services. Mais l’instrumentalisation et la commercialisation du corps féminin ne sont pas les seuls problèmes à considérer. De même, l’anonymat du don de gamète est garanti afin de favoriser les dons, qui restent insuffisants pour satisfaire la demande. Mais cette garantie nie totalement le droit des enfants à connaître leur origine. .

Dans le domaine du diagnostic préimplantatoire, notre position législative consiste officiellement à permettre aux parents de ne pas donner naissance à des enfants atteints de maladies particulièrement graves. Cependant, les pratiques mises en œuvre se rapprochent de plus en plus de l’eugénisme. Dans ce domaine, le Conseil d’Etat n’a certes pas assoupli les règles, mais a tout de même préconisé l'augmentation des moyens alloués aux centres réalisant des tris d’embryon..
La recherche sur l’embryon humain est quant à elle fondée sur l’espoir de progrès thérapeutiques et fait l’objet de restrictions significatives. Mais ces restrictions ne comprennent pas l’obligation de conduire des recherches préalables sur des embryons d’animaux, ce qui me semble pour le moins choquant. Par ailleurs, l’expression elle-même de « recherche sur l’embryon humain » me semble fallacieuse. Elle laisse en effet entendre qu’il s’agit d’enrichir nos connaissances sur l’embryon humain, ce qui n’est absolument pas le cas. Ces recherches n’ont en réalité pas d’autre vocation que la mise au point de techniques thérapeutiques ou commerciales utilisant des cellules d’embryons. J’estime donc, d’une manière générale, que les débats concernant la bioéthique ne sont pas organisés d’une manière satisfaisante. .

Par ailleurs, les décisions législatives résultant de ces débats sont prises par les élus. Or, ces derniers consultent essentiellement les scientifiques qui sont directement concernés par ces nouvelles techniques et qui trouvent un intérêt à leur développement. De plus, les élus subissent une influence non négligeable de certains groupes de pression. Le public pense souvent aux groupes religieux en oubliant les professionnels. Sachez donc que les professionnels de l’assistance médicale à la procréation ont organisé une réunion au mois d’octobre 2008 afin d’élaborer une position commune aux biologistes et aux gynécologues. L’objectif ultime de cette réunion consiste à pouvoir influencer plus efficacement l’orientation des lois bioéthiques dans le sens qui convient à ces professionnels. Ces derniers reconnaissent d’ailleurs qu’ils ne se prononcent que sur les problèmes médicaux et non sur les problèmes sociaux. Cependant, le premier avis qu’ils émettent concerne la gestation pour autrui. Or, cette technique ne présente aucun caractère d’innovation. Elle ne présente par conséquent aucune incertitude d’ordre médical et ne requiert en aucune manière la consultation des praticiens. Je trouve donc pour le moins gênant que les praticiens s’organisent afin d’imposer leur point de vue sur des questions qui n’ont rien à voir avec l leur savoir et leurs savoir-faire.

En conclusion, je souhaite que nous améliorions les conditions qui permettent de réaliser des choix démocratiques dans le domaine des technosciences en général, et de la bioéthique en particulier. Ce dernier domaine me semble d’ailleurs particulièrement propice à une véritable participation démocratique, car il présente des questions d’ordre subjectif qu’aucun expert ne peut prétendre trancher. .
Sylviane Agacinski a donné, dans le cadre des Etats Généraux de Bioéthique, une définition de l’éthique qui me semble particulièrement pertinente. Cette définition énonce que l’éthique consiste en l’autolimitation de la puissance. L’absurdité de confier l’autolimitation de la puissance aux professionnels qui trouvent au contraire leur intérêt dans le développement de cette puissance devient dès lors évidente. .
Ces Etats Généraux de la Bioéthique constituent à mes yeux une initiative particulièrement remarquable, dans la mesure où il s’agit de la première tentative d’impliquer la population dans les discussions de bioéthique. Cette tentative reste certes imparfaite. Les informations communiquées au public ne sont pas toujours exhaustives. Je pense également à l’absence d’un protocole permettant d’exclure toute influence extérieure sur les citoyens consultés. Car pour que les élus puissent prendre en compte les avis des citoyens, des procédures exemplaires et irréprochables doivent être définies. Nous devons donc rationaliser et légaliser ces procédures comme la fondation Sciences citoyennes l'a proposé Proprosition de réforme de l'ordre juridique français en vue d'y insérer les Conventions de Citoyens. .

Enfin, nous devons réfléchir aux manières dont nous pouvons élargir les débats bioéthiques à l’ensemble de l’humanité. De la même manière que pour le réchauffement climatique ou pour la fin des ressources d’énergie fossile, les réflexions bioéthiques ne peuvent conduire à des décisions efficaces que si elles englobent l’ensemble des êtres humains. Certains des problèmes qu’elles soulèvent revêtent en effet un caractère universel et ne peuvent être résolus dans un seul pays indépendamment des autres. Le nouveau tourisme procréatif constitue un exemple particulièrement frappant, dans la mesure où les pratiques autorisées dans certains pays nous encouragent à un laxisme de plus en plus inquiétant. Même s’il serait évidemment illusoire d’espérer la définition de lois internationales appliquées dans tous les pays, j’estime que nous devons consacrer davantage d’efforts vers l’universalisation des principes bioéthiques.

Je pense en effet aux conséquences de nos décisions non pas sur notre société nationale, mais sur l’ensemble de l’espèce humaine. Il ne me semble pas impossible d’envisager une définition des droits de l’humanité qui s’inscrirait à un niveau supérieur à celui des droits de l’homme. Nous devrions probablement nous inspirer pour cela des réflexions du philosophe allemand Hans Jonas, qui s’est beaucoup interrogé sur les manières dont nous devrions encadrer les pratiques issues des technosciences et a proposé le« principe de responsabilité »beaucoup plus exigeant que le seul principe de précaution.