La Décroissance, décembre 2009

On connaît le proverbe chinois : « Quand le doigt montre la lune, l’imbécile regarde le doigt »… Il est bien illustré par la façon de cibler les problèmes éthiques que posent les innovations en procréation humaine ; mais les choses s’aggravent quand ce que montre le doigt n’est qu’une certaine face de la lune ... Réflexions et débats sont orientés pour chaque proposition vers les aspects immédiatement visibles, cibles trop réalistes pour contenir la totalité des enjeux éthiques. Ainsi, le cas des mères porteuses , déjà ramené à l’altruisme par sa nouvelle appellation(« gestation pour autrui »= GPA) est réduit à la seule dimension, certes intolérable, de l’instrumentalisation du corps féminin, en omettant les perturbations sociales induites par une offre rémunérée de grossesse (les hypocrites disent « indemnisation » mais les femmes de Neuilly porteront-elles les enfants du 9-3 ?) et les conséquences pour l’enfant à naître. Il en est de même avec l’anonymat du don de gamètes, l’argumentation nourrie depuis 30 ans par les praticiens des banques de sperme se réclamant d’un « désir d’enfant » à satisfaire coûte que coûte (mais la plupart des enfants n’ont –ils pas été naturellement conçus lors d’une pulsion sexuelle et en dehors de tout « désir d’enfant » ?) et de la crainte de manquer de donneurs (toujours propres et bénévoles) , toutes considérations myopes qui négligent le vertige imposé à l’enfant qu’on prive de repères généalogiques. Dans le cas du Diagnostic préimplantatoire (DPI), stratégie inédite et redoutable de sélection des humains dés le stade embryonnaire, les débats se focalisent sur l’embryon lui-même, c’est à dire sur l’acte euthanasique (détruire ou pas les « mauvais » embryons) plutôt que sur la construction eugénique (modeler l’humanité à venir comme résultat prévisible de décisions individuelles convergentes). On retrouve les mêmes préoccupations pour la « recherche sur l’embryon », l’attention étant orientée vers les risques occasionnés pour l’embryon (y compris sa destruction) plutôt que vers la logique scientifique de ces actions (a t-on déjà réalisé cette recherche chez l’animal ? avec quels résultats ?) et vers leurs finalités prévisibles (quels nouveaux dilemmes posés à la bioéthique suite aux nouvelles technologies escomptées à l’issue de ces recherches?).

Question : A qui appartient le doigt qui montre les lunes bioéthiques ? Le plus souvent le doigt de la foi religieuse et celui de la foi scientiste convergent pour désigner un objet, que l’une condamne tandis que l’autre le désire, mais elles captent ensemble l’attention de celui qui se refuse imbécile (il ne regarde pas le doigt) pour le condamner à disserter sur un enjeu qui n’est pas forcément le plus important. Bien sûr, comme dans tous les domaines de la technoscience les conflits d’intérêts des « conseilleurs » de la bioéthique sont présents mais il s’agit ici surtout d’intérêts idéologiques ou professionnels, rarement d’intérêts véritablement économiques (sauf dans le cas particulier des cellules souches embryonnaires). Aussi, y compris quand le doigt moraliste a l’audace rare de montrer les menaces mercantiles, même le citoyen vigilant (non imbécile) ne voit plus les menaces anthropologiques, celles qui visent l’humanité, au delà de son sperme, de son œuf ou de son utérus…