Témoignage chrétien, 23 juillet 2009

Deux raisons empêcheront d’aller jusqu’à « l’enfant parfait », quelles que soient les pulsions individuelles et les pressions sociales. La première est anthropologique : l’enfant parfait, ce serait qui ? il serait comment ? Nul ne le sait. La seconde raison est biotechnologique : on ne saurait pas fabriquer l’enfant parfait quand bien même on prétendrait le définir. Ce qui nous menace c’est l’illusion de la norme en même temps que le refus de la différence. C’est une vieille histoire, vieille comme l’humanité, que cette pulsion pour se débarrasser des « tarés » (eugénisme négatif) ou vouloir créer des êtres « de qualité supérieure » (eugénisme positif). Longtemps on a prétendu y parvenir en tuant les enfants ou en empêchant la procréation des uns et en favorisant celle des autres, exceptionnellement en éliminant des populations entières. Quel bilan de cette sauvagerie quand elle prétendait agir sur des critères de « normalité » identifiés ? Il semble bien que les meurtres, souffrances et humiliations imposées n’aient eu aucun effet sur la « qualité humaine », surtout parce qu’on n’osa pas les généraliser (comme on a fait pour la sélection des plantes ou animaux domestiques), et que le vivant génère sans cesse de la différence.

Qu’en est-il des pratiques eugénistes contemporaines ? Ce qui caractérise le nouveau territoire de l’eugénisme c’est qu’il nécessite l’accord, et même la sollicitation des actes, par les êtres ainsi ciblés (ou leurs tuteurs). La pénétration d’internet a relancé les unions programmées (choix du conjoint ou du géniteur) selon des critères esthétiques ou de performance qui ne sont, bien sûr, transmis que de façon aléatoire.Par ailleurs des progrès biomédicaux sont utilisés pour éliminer de futures personnes avant même leur naissance. Le cas des trisomies (en particulier la trisomie 21) est exemplaire de la difficulté d’accueil des grands handicapés dans nos sociétés de compétition puisque l’avortement des « mongoliens » sanctionne le diagnostic prénatal (DPN) dans la quasi totalité (98%) des grossesses. Cette unanimité du refus choque en révélant une mécanique d’exclusion, laquelle devrait s’étendre à des handicaps variés et mineurs pourvu que des approches techniques moins traumatisantes le permettent. Car, ce n’est pas la réglementation mais les souffrances physiques et psychiques affectant la mère se résignant à avorter à l’issue d’un DPN qui constituent le véritable garde-fou contre les dérives eugéniques . Or, la situation est très différente lors du tri des embryons (diagnostic préimplantatoire= DPI) puisqu’il s’agit d’un choix avec issue positive (il y a quasi toujours un embryon indemne) et concernant des êtres humains très précoces. Dans cette situation les seules entraves susceptibles de résister durablement aux décisions ou fantasmes individuels concernent la pénibilité des actes de fivète, le coût et l’efficacité du DPI. Alors, le progrès technique devrait ouvrir les vannes du DPI généralisé dès que nous saurons produire des embryons en abondance, et sans infliger aux femmes les épreuves de la fivète ( 1 ). Car on voit mal comment la législation résisterait aux séductions nouvelles ainsi offertes aux futurs parents (un bébé garanti presque « sans fautes ») et à la collectivité (allègement du coût des handicaps et des maladies), sans évoquer des perspectives alléchantes pour l’économie privée (assurances à la carte génomique, industrie des biotechnologies, interventions biomédicales,…).

Le but même de l’eugénisme demeure controversé : s’agit-il d’assurer des naissances « saines » à chaque génération ou bien d’éradiquer les défauts génétiques jusque dans les générations futures ? Les praticiens du DPI comme du DPN choisissent la seconde version, ce qui leur permet de s’exonérer de tout soupçon d’eugénisme (2) …Il reste que bien des mutations surviennent sans prévenir chez des porteurs « sains », comme arrivent les accidents chromosomiques responsables par exemple des trisomies. Eugéniste est un métier de Sisyphe !...Si bien qu’une gestion « sérieuse » des handicaps ne peut pas se limiter aux géniteurs « à risque » mais devrait considérer toute conception comme suspecte…La logique eugénique, partagée par la médecine et la population, devrait donc amener la généralisation du DPI à tous les embryons conçus par tous les couples ! C’est cette perspective, dont la réalisation me semble inexorable, qui me fait affirmer depuis 25 ans (voir mon site : http://jacques.testart.free.fr) que le pouvoir eugénique du DPI est illimité et infiniment supérieur à celui du DPN.L’eugénisme est dans l’œuf plutôt que dans le fœtus…

(1) Audition de M. Jacques Testart, directeur de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) : Procès-verbal de la séance du mercredi 18 mars 2009

(2)Des moyens pour le DPI. Libération, 1er juillet 2009