Comité de reflexion sur le Préambule de la Constitution
Audition de Monsieur Jacques Testart, biologiste et chercheur honoraire à l’INSERM.
26 juin 2008

Le document complet ("Rapport Veil", décembre 2008) est disponible en annexe au bas de cette page : 227 pages téléchargées depuis le site de l'Elysée.

A. L’influence des professionnels interrogés lors de l’élaboration et de la révision des lois bioéthiques.

M. Testart pense que ces professionnels abusent de leurs compétences techniques pour imposer une conception de la bioéthique qui leur convient.

Il donne quelques exemples :

1) La recherche sur l’embryon humain Elle a été rendue possible sous la pression de scientifiques. Or, depuis cette autorisation, il n’y a eu aucun résultat. En Angleterre, où l’on peut créer depuis les années 1990 des embryons humains à des fins de recherche, il n’y a pas eu davantage de résultats. Dans ce pays, des scientifiques mélangent cellules animales (ovules de lapins ou de vaches) et cellules humaines, avant même d’avoir montrer l’intérêt de chimères animal/animal ce qui est contraire à la déontologie. Avant de pouvoir effectuer des tests sur l’homme, il faudrait obligatoirement pratiquer une expérimentation sur l’animal.
2) L’anonymat et la gratuité du don de gamètes

Auparavant, seul le don de sperme était concerné. Aujourd’hui, les praticiens sont aux prises avec le don d’ovules, qui impose une procédure beaucoup plus lourde et donc la rareté des donneuses. Or, ces praticiens qui défendaient l’anonymat et la gratuité du don de gamètes, au nom de la morale,(pour la loi de 1994) demandent aujourd’hui qu’on puisse lever l’anonymat et parfois que l’indemnisation des donneurs d’ovule soit rendue possible. Cela prouve donc que leur action n’est pas guidée par la morale, mais par leur réalité professionnelle.

3) la régulation des pratiques
J Testart s’étonne qu’il soit demandé par les élus à des gynécologues s’ils approuvent la gestation pour autrui (GPA) et surtout s’ils pensent que la contribution d’une mère porteuse mérite rémunération. N’y a t-ii pas confusion entre un savoir-faire technique et une compétence éthique ?

4) Le diagnostic préimplantatoire (DPI) et l’autorégulation des praticiens
Ce diagnostic peut être réalisé :
• en cas d’indications médicales,
• en cas de maladie particulièrement grave d’un ou des parent(s).

Il s’agit là de conditions très générales : il n’y a pas de bilan, d’analyses ou de contrôles a posteriori sauf le listing très global réalisé annuellement par l’Agence de la biomédecine. Des Centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) ont été créés, où ne figurent ni juristes ni anthropologues, mais seulement des partenaires intéressés par le développement de la technologie.
Comment les professionnels peuvent-ils être les gardiens de leur propre activité ?
Pourquoi cette absence de contrôle a posteriori ?
Des analyses a posteriori permettraient de limiter les excès.
Il ne faut pas oublier en effet que le DPI représente une technique à impact sociétal potentiellement beaucoup plus important que le DPN. Or les mêmes structures (CPDPN) gèrent les 2 types de diagnostic.

B. La bioéthique à la française.

M. Testart rend hommage au Comité consultatif national d’éthique, qui a produit des textes très riches. Plusieurs entorses aux principes sont relevés :
1) La dignité de l’embryon est-elle respectée ?

Il existe une ambiguïté : il est interdit de créer des embryons pour faire de la recherche, mais il est possible de faire de la recherche sur des embryons “surnuméraires”, qui seraient par conséquent moins dignes que les autres. Comment justifier cette discrimination ?

2) La non-discrimination des personnes est-elle respectée ? Sans entrer dans le débat sur le statut de l’embryon (amas cellulaire ou potentialité de personne ou personne à part entière) Il faut observer que le DPI sélectionne les embryons et donc les personnes potentielles puisque toute personne est issue d’un embryon

3) Remarque sur la disparité des éthiques européennes L’Irlande, catholique, a une législation proche de la Suisse : elle est prudente sur la question de la procréation médicalement assistée. L’Espagne, catholique également, a, quant à elle, une législation libérale, proche de celle de la Grande-Bretagne sur cette question. On ne peut pas expliquer les disparités éthiques par des différences culturelles (surtout religieuses)

4) L’influence des lobbys Incontestablement, des pressions sont exercées par des scientifiques et médecins, , des éditorialistes des médias, et bien sûr les groupes religieux... en réalité, très peu de personnes et pas nécessairement représentatives vont influencer le contenu des lois bioéthiques, qui ont pourtant un impact sociétal très important. Comme si la régulation bioéthique en chaque pays ne dépendait que de quelques dizaines de représentants d’élites influentes…

5) L’écart entre l’éthique personnel et l’éthique du groupe auquel on appartient. Un constat s’impose : les idées des groupes - ou du moins des leaders de ces groupes - ne sont pas tellement suivies par les populations qui appartiennent à ces groupes. Ainsi, beaucoup de catholiques pratiquants acceptent de subir une fécondation in vitro (FIV), alors que le Vatican y est opposé. De même nombre de Français se rendent en Belgique ou en Espagne pour accéder à des pratiques interdites par la loi française. L’éthique personnelle est donc différente de celle du groupe auquel on appartient. Mais qui a réellement défini l’éthique de ce groupe ? M. Testart s’interroge : existe-t-il une identité constitutionnelle française en ce qui concerne la bioéthique ?

C. Le refus du lieu commun selon lequel la science va plus vite que l’éthique.

La science ne va pas plus vite que l’éthique, c’est l’éthique qui va moins vite que la science !. Il est facile de le vérifier : il suffit d’observer les programmes de recherche médicales financés par le secteur public et l’absence de coordination des activités de laboratoire avec la reflexion éthique. En réalité, nous n’avons pas une volonté suffisante pour poser des garde-fous avant d’être mis au pied du mur. Il faut donc se préoccuper de la réglementation plus tôt.

A titre d’exemples :

1) Le diagnostic préimplantatoire et ses excès
On dit que le diagnostic préimplantatoire (DPI) est un diagnostic prénatal (DPN) précoce, ce qui est faux. Dans le cas du DPN, le nombre de futures personnes possibles s’élève à un : celle qui est dans le ventre de sa mère. Dans le cas du DPI, le nombre de futures personnes possibles s’élève à 5, 10, 20... : celles qui sont dans des éprouvettes. En outre, l’interruption médicale de grossesse a des limites « naturelles »(gravité de l’acte , souffrance maternelle,…) que le DPI n’a pas (pourquoi ne pas choisir le « meilleur » embryon ?...). La France autorise le DPI avec plus de restrictions qu’ailleurs certes, mais certains glissements ne sont pas considérés comme illégaux : on peut faire des DPI pour des affections qui ne justifient pas une interruption de grossesse (hémophilie par exemple : une maladie qui n’est certes pas anodine, mais avec laquelle on peut vivre). En Angleterre, les parents souffrant d’un strabisme fort peuvent demander un DPI pour éviter d’avoir un enfant qui louche…

2) Le tri des embryons Il est très facile de prélever et de congeler un fragment ovarien. On saura faire évoluer les ovocytes primaires. A partir d’un petit morceau d’ovaire congelé, les praticiens pourront produire in vitro de nombreux ovules, et donc de nombreux embryons, puis choisir le plus convenable des embryons pour ces parents qui veulent un enfant. Il s’agit là d’une perspective réelle. Peut-on dès lors continuer avec nos garde-fous ? Les excès de DPI et le tri des embryons posent les problèmes suivants : qu’est-ce qu’un handicap si on peut l’éviter ? Quel regard va-t-on porter sur les personnes handicapées ou sur des personnes qui auraient pu ne pas naître ?
Point alors le risque du racisme du gène qui pourrait remplacer le racisme de la peau, cela avec la caution de la science et avec l’alibi des effets positifs d’un tel racisme : les médecins, dont la responsabilité pourra être mise en jeu par les parents si un enfant handicapé voit le jour, ne pourront se voir reprocher d’avoir empêché la mise au monde de cet enfant. Une loi espagnole de 1988 prévoyait d’ailleurs que les médecins devaient éviter toute malfaçon. Il faut donc poser dans la loi que la médecine n’a pas d’obligation de perfection On aboutira sinon à une normalisation génétique arbitraire et dangereuse. On subit déjà et on continuera à subir l’influence des législations étrangères, sous la pression du tourisme procréatif. Parallèlement, la génétique médicale connaît un succès en matière d’identifications , mais la thérapie génique est un échec. Nous avons tous quatre ou cinq gènes susceptibles d’entraîner une maladie dangereuse. Sur des sites Internet étrangers, il est d’ailleurs possible de connaître son génome, ce qui incite les parents à exiger la non-transmission de certains de ces gènes à leurs enfants. Ainsi, aux Etats-Unis, de plus en plus de DPI sont associés à des FIV. 9 % des DPI sont justifiés par une prescription médicale ; les autres sont justifiés par le choix du sexe de l’enfant. Sauf régulation urgente on ne pourra pas échapper au nouvel eugénisme , non autoritaire et bienveillant. Il s’agit d ‘en décider avant que la technologie n’apporte toutes les séductions qui la feront admissible ou désirable, quelles qu’en soient les conséquences anthropologiques.

3) Les solutions pour contrer la possible dérive eugénique Elles sont au nombre de quatre:
a) Interdire le DPI.
Interdire le DPI puisque le DPN permet d’éviter les maladies très graves. Mais la loi a autorisé le DPI. Il reste donc trois solutions.

b) Limiter le nombre d’ovules au nombre d’embryons que l’on pourrait transplanter chez la femme. C’est la position de la Suisse. Si 2 ou 3 embryons seulement sont « contrôlés » on ne pourrait qu’éviter les issues dramatiques. Mais cette pratique retirerait des chances de grossesses aux patients demandeurs de fivète.

c) Autoriser le DPI uniquement si les parents sont atteints de maladies graves définies. C’est ce que dit la loi française mais cette solution implique de définir les maladies graves qui justifient la demande des parents de recourir au DPI. Et donc de faire des listes qui cibleraient les indésirables…dont beaucoup sont parmi nous…

d) N’autoriser le DPI que pour la recherche d’un seul variant génétique pour tous les embryons issus d’une même FIV. Cette solution ménage un choix du couple (viser l’insupportable) et évite la normalisation (bien d’autres « défauts » génétiques échapperont au ciblage)

D. Les valeurs collectives qui s’opposent aux libertés individuelles.

M. Testart considère qu’une politique de civilisation dans le cadre du DPI consisterait à poser que les droits de l’homme dépendent des droits de l’humanité. C’est à dire que ce qui est estimé bénéfique par des personnes (des couples) ne l’est pas nécessairement pour l’ensemble des humains. Exemple avec le DPI : Le DPI offre une sécurité et la normalité pour les géniteurs Les droits de l’humanité, c’est l’altérité et la diversité au nom de l’égalité de toutes les personnes.
Les droits de l’homme :
• vont dans le sens d’une lignée généalogique,
• acceptent la compétitivité (sélection du meilleur embryon),
• posent le scientisme comme idéologie.

Les droits de l’humanité :
• consacrent l’adoption et la fraternité,
• prescrivent la solidarité à l’égard des handicapés,
• prônent l’humanisme comme conquête de civilisation,
• exigent des principes communs de bioéthique.

Il faudrait fonder une éthique libérée des courants dominants.
M. Testart place, à côté ou même au dessus des droits de l’homme, les droits de l’humanité qu’il faut invoquer pour défendre le genre humain, les espèces et la planète dans son ensemble. En effet, les restrictions à la diversité du vivant (lignées sélectionnées, OGM) relèvent de la même utopie génétique que le DPI.
Mais qui peut formuler les droits de l’humanité ? Les citoyens du monde entier, qui ont d’ailleurs des intérêts plus convergents que leurs responsables.
Un maillon manque entre la bioéthique et la décision politique : le citoyen.

E. La constitutionnalisation des conventions de citoyens et la création d’une maison des citoyens au Conseil économique et social pour organiser ces conventions de citoyens.

En matière de bioéthique, on fabrique des lois, mais SANS le citoyen.
M. Testart explique que, présidant la Commission Française du Développement Durable (CFDD), il s’était demandé en 2002, comment le citoyen pouvait intervenir dans des controverses techniques et par exemple pour limiter le réchauffement climatique.
La CFDD a organisé une conférence de citoyens, composée de profanes volontaires tirés au sort qui ont été préservés des pressions extérieures par l’anonymat et qui, durant trois fins de semaine, ont été, dans un souci d’objectivité, formés par des spécialistes ayant des vues divergentes sur le sujet.
On a défini une procédure précise permettant d’assurer la crédibilité des conférences de citoyens auprès des élus et de la population.
Une reflexion menée avec des juristes (D Rousseau, MA Hermitte) et sociologue (M Callon) a conduit à un projet de loi publié dans la presse en décembre 2007.
Il a souhaité l’inscription des conventions de citoyens dans la Constitution, avec la création d’une maison des citoyens au Conseil économique et social pour organiser ces conventions, faisant ainsi appel à l’idée de démocratie participative, plutôt que seulement consultative.
Certes, ce seront toujours les élus qui décideront, mais ils devront prendre en compte l’opinion des citoyens. L’altruisme se développe dans de telles procédures menées au nom de l’humanité et pas de tel intérêt particulier. Une telle procédure permet de saisir la vérité de l’éthique et accompagner la science. Pourquoi pas des conventions de citoyens européens pour dire ce que veulent les gens ?
Nos lois ne seront efficaces que si elles existent hors frontières, de sorte qu’il faut mettre en place en Europe des procédures permettant aux citoyens de proposer des régulations communes plutôt qu’entériner en chaque pays les positions de quelques personnes influentes.