La Décroissance, juillet 2008

Le mois de mai 2008 marquera le début d’une ère nouvelle, celle où la réalité de la pénurie est venue abolir l’utopie de l’abondance. Il aura fallu que le baril de pétrole brut dépasse les 130 dollars, que les céréales manquent et atteignent des prix déments, que des émeutes de la faim surviennent ici ou là, bref qu’arrive ce qu’on savait depuis 30 ans, pour que certains pêcheurs, camionneurs, et autres énergivores réalisent douloureusement que leur monde est fini. On les voit acculés au désespoir mais le système continue de les pousser dans une dérive absurde plutôt que les aider à une reconversion. Qui va demander des comptes aux objecteurs de réalité, les Eric Le Boucher, Jean-Marc Sylvestre, Alain-Gérard Slama, Jacques Attali, Luc Ferry, et autres Claude Allègre…, tous ces parvenus à la parole impériale qui, sans scrupules, ont organisé le déni ? La bêtise résiste à l’évidence et ceux-là vont continuer à vanter la « croissance durable » (ils ne savent pas penser autrement) mais déjà, cataclysme intellectuel aux conséquences considérables, ils commencent à reconnaître que le coût de l’énergie augmentera, irréversiblement. C’est avec la caution de ces apologistes de la croissance qu’un pêcheur lança, en réponse aux propositions incohérentes du gouvernement: « ça suffit pas ! même avec du pétrole à 40 centimes on nous empêche de travailler à cause des quotas ! »…Il faudrait donc que quelqu’un (Dieu ?) remette du pétrole dans les gisements et aussi du poisson dans la mer ?… Ou bien qu’on aille à la pêche en pédalo, armé seulement d’une canne en bambou ?…

Au cours de ce même printemps, l’eau a été transportée à grands frais de France jusqu’à Barcelone tandis que s’aménageait un nouveau golf de 200 ha près de Tarragone. Mais un agriculteur reconnaît : « Nous avons voulu croire, malgré les alertes , que l’eau était inépuisable ! ». Et c’est l’OCDE qui déclare à propos des agrocarburants (dont il faut rappeler que cette source miraculeuse d ‘énergie était quasi unanimement vantée, il y a moins d’un an, en particulier par les zozos susnommés) : « le remède n’est-il pas pire que le mal ? »… La même réflexion s’imposera bientôt à propos de la proposition de Sarkozy de limiter les taxes sur les carburants, en complète contradiction avec son commentaire : « Il faut avoir le courage de le dire aux français: ça ne va pas s’arranger ! ». Autre contradiction du président quand il exalte l’agriculture industrielle ici et l’agriculture vivrière en Afrique. Peut-être faut-il se réjouir en considérant que l’incohérence de tous ces discours qui s’opposent terme à terme, et parfois à quelques jours d’écart, marque le temps zéro (comme l’an 01 de Gébé…) à partir duquel on va enfin affronter le réel.

Décidément, 40 ans après mai 68 qui proclama l’exigence de liberté et de partage, un nouveau mai vient ridiculiser le slogan de ces parvenus aveuglés qui assurent tranquillement que « les populations du Nord n’accepteront pas une réduction de leur bien-être !». Comme l’indique Yves Cochet en appelant à une « économie de guerre », la réalité, plus forte que les conservatismes, impose de mettre les pendules de la consommation à l’heure de la pénurie, mais aussi de proposer très vite les moyens d’éviter la barbarie qui menace.