Politis, 990, 21 février 2008

A l’issue d’une conférence internationale tenue en mai 2007, la FAO (agence de l’ONU pour l’alimentation) reconnaissait la capacité de l’agriculture biologique à nourrir toute l’humanité, et ceci sans entraîner les nuisances générées par l’agriculture productiviste. Quelques mois plus tard , le directeur général de la FAO faisait savoir qu’il ne « croyait » pas à cette analyse sans apporter aucun argument (voir lettre de Philippe Desbrosses à Jacques Diouf, Le Nouveau Consommateur, février 2008). Cette attitude sélective des autorités par rapport aux discours scientifiques, et leur propension à croire ou ne pas croire les experts selon la couleur de la vérité, se sont récemment manifestées en France à l’occasion du débat sur les OGM. Alors que la Haute autorité provisoire installée par Borloo se montrait critique, justifiant ainsi le recours à la clause de sauvegarde concernant le maïs Mon 810, le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer montait vite au créneau en contestant la nature scientifique de ces conclusions et en regrettant qu’on « laisse prospérer les peurs irraisonnées et les discours dogmatiques ». Peu après, le ministre de l’agriculture, Michel Barnier, décidait de créer une nouvelle commission d’évaluation pour autoriser les essais d’OGM en plein champ (10 demandes en attente angoissée…), estimant que la Haute autorité provisoire ne peut pas jouer ce rôle à cause de « ses modalités de constitution »… Pour la première fois les politiques se mettent à douter de l’expertise alors qu’ils sont tellement inféodés à la « science » (n’ont-ils pas accepté sans réserves les rapports affligeants de l’Académie des sciences sur les OGM ou sur les nanotechnologies ?). La science est-elle encore crédible quand elle vient déranger le bizness ? Le doute naît quand les experts comptent parmi eux des individus privés de label scientifique. C’est pourquoi le sénateur Bizet a imposé une hiérarchie entre les deux composantes du futur Haut conseil des biotechnologies, la section « société civile » n’émettant que des recommandations alors que la section scientifique, parce qu’elle est présidée par « un scientifique reconnu » (lequel est aussi membre de l’autre section …) peut émettre des avis…

Où on vérifie que les politiques sont soumis partout à des pressions intenses par les lobbies de l’agriculture industrielle, et que la science n’est politiquement validée que là où elle produit ou justifie la croissance compétitive, même quand les citoyens n’en ont cure . Il devient vraiment urgent d’imposer la démocratie aussi bien pour produire les technologies (Que veulent les citoyens ?) que pour les évaluer (Quels sont les intérêts des experts ? Quelle place à l’évaluation socio-économique ?) mais aussi pour la traduction politique de ces choix. A cet égard, le récent « livre bleu du lobbying » du député UMP Jean-Paul Charié est scandaleux et inquiétant qui propose de reconnaître officiellement comme « informations » les documents fabriqués par les industriels pour faire pression sur les élus.

Jacques Testart, président de l’association Sciences Citoyennes (sciencescitoyennes.org)