Politis, 15 novembre 2007

En quelques mois, le nouveau président de la République s’est assuré les services d’un conseiller généticien, il a prononcé le discours de Dakar, et avalisé les tests ADN. Des commentateurs ont évoqué à chacune de ces occasions une possible dérive raciste de l’Etat. Pourtant, le conseiller Arnold Munnich n’a rien à voir avec James Watson, prix Nobel en 1962, qui vient d’être condamné par ses pairs pour son racisme prétendument scientifique. Il faut rappeler que ce même Watson avait jadis demandé le contrôle génétique de tous les enfants à la naissance afin que les déficients du génome perdent leur droit à la vie, mais que ses déclarations n’avaient pas entraîné alors son éviction des plus hautes instances scientifiques… Deux discours, deux mesures ! C’est que le racisme n’est intolérable que quand il vise une population déterminée, pas quand il cible certains éléments dans n’importe quelle population. Ainsi le « racisme du gène »échappe aux catégories traditionnelles , au point où le diagnostic génétique préimplantatoire (DPI = sélection des embryons à l’issue de la fécondation in vitro) , dont A Munnich est un acteur important, se trouve banalisé, même si sa fonction prétendument médicale ne peut que dériver vers la recherche d’un « homme moyen » , voire « supérieur » . Cette remarque permet d’aborder avec d’autres lunettes l’exigence de « tests ADN » pour certains candidats à l’immigration mais, là aussi, on doit préciser à quoi sert la génétique. Dans les tests évoqués, il ne s’agit « que » de biométrie, c’est à dire de critères d’identification des personnes, sans relation avec d’éventuels handicaps ou qualités qu’on saurait prévoir par la lecture du génome. L’enjeu n’est pas réellement de limiter l’immigration, plutôt de familiariser la société avec ce nouveau mode de fichage, en commençant par les gens« différents »(on a vu déjà le fichier des empreintes génétiques, réservé d’abord aux délinquants sexuels, s’élargir à tout condamné). Le fichage est un outil nécessaire à l’ordre capitaliste et à son efficacité économique mais son futur est de s’adjoindre l’autre apport de la génétique : la prédiction des risques supposés(d’être malade, de tuer, de refuser de travailler plus…). Quant au discours de Dakar, au -delà de l’imagerie naïve et du déni des responsabilités des esclavagistes et colonialistes dans la réalité de l’Afrique contemporaine, il stigmatise surtout la désobéissance d’une majorité d’Africains, sourds aux sirènes du libéralisme économique. Car le moteur de la Sainte Croissance ne peut pas tolérer d’être grippé par des éléments déviants ou peu opératoires. Quand le gouvernement élabore des listes de professions pour l’« immigration choisie », il attribue les métiers selon l’origine des demandeurs(Libération, 29 octobre), quitte à honorer les Africains de professions plus nobles que celles réservées aux ressortissants de l’Union Européenne….Limiter l’immigration au minimum mais selon nos besoins, là encore l’impératif de compétitivité économique l’emporte sur les stigmatisations ! Quand la machine à contrôler et prévoir s’installe partout , presque décomplexée, l’indignation ne devrait pas se perdre dans la dénonciation d’un racisme à l’ancienne. Même si le racisme atavique aide le pouvoir à faire avancer sa terrible machine…