Libération, 6 août 2007

Luc le Vaillant ne manque pas d’audace en proposant de légaliser le dopage des sportifs (Libération, 1er août) mais il ne manque pas non plus de logique, pour deux raisons : d’une part sa démarche est une issue crédible à l’intenable mensonge qui gangrène le sport de compétition, et d’autre part elle est bien dans l’air des temps sarkoziens en appliquant au sport ce que le néolibéralisme veut imposer à la besogne productive: courir plus vite pour gagner plus (des sous et des médailles). Pourtant, plutôt qu’autoriser ce qu’on ne parvient pas à interdire dans un contexte pourri, on pourrait essayer d’en finir avec l’apologie du muscle et de la gagne. « L’état de nature n’existe pas »nous dit Luc Le Vaillant, comme s’il n’y avait pas de guerres, de jeux olympiques, ou de CAC 40, démontrant que l’état de nature est aisément réactivé chez la bête humaine dés qu’on la stimule par les compétitions militaires, sportives ou économiques. Quant à l’état de civilisation, il n’existe que là où son développement artificiel est soutenu par un effort constant pour échapper aux élans naturels.

Légaliser la vente du cannabis et la distribution hospitalières des drogues dures, pourquoi pas si c’est pour la faculté de ces produits à soulager des souffrances ou procurer du plaisir ? Mais quelle triste utopie si c’est seulement dans le but de fortifier les canines de la bête ! Alors ce serait les chimistes , prothésistes, et un jour les généticiens , qu’on devrait médailler sur les podiums où s’exhibent des zombies en short! Luc Le Vaillant justifie ses choix par le constat qu’on vit dans une « société de transformistes … où l’on trie les embryons… ». Voilà donc de nouvelles indications pour l’eugénisme préimplantatoire, quelques mois après la décision britannique d’éliminer des embryons potentiellement porteurs de strabisme. Il est possible que la génétique soit moins incompétente pour sélectionner des muscles que pour soigner des malades…. On voit bien que l’artifice menace la définition même du normal quand des corrections optiques procurent une acuité visuelle inédite dans notre espèce, ou quand des prothèses de membres permettent à un amputé d’exiger de concourir contre des athlètes normaux plutôt que contre de vulgaires handicapés. Déjà les compétitions réservées aux handicapés révélaient l’absurdité de ces combats supposés honorer l’effort de personnes diminuées sans imaginer le désarroi des perdants et qu’il n’est pas deux façons identiques d’être handicapé : pour être cohérent , on devrait d’abord découper les membres de tous les candidats exactement au même niveau afin de maintenir « l’équité sportive »… A quand des Tours de France de cyborgs qu’on remonterait à chaque étape comme des horloges de viande hormonée, nanométal et super plastique, le tout boosté aux molécules essentielles ? Si le but est de ne pas frustrer le sportif (et ses entraîneurs , financeurs, supporteurs) pourquoi s’arrêter à la dope ? On pourrait faire mieux en célébrant la capacité du coureur à semer des clous derrière lui, ou même à descendre ses concurrents au pistolet afin de « contrarier l’état de fait » de ses capacités naturelles et de montrer qu’il en a…Une compétition vraiment décomplexée devrait honorer ceux qui sont capables de tout pour gagner, sans injecter de « moraline »dans les jeux du cirque politico-commercial…

Nul ne peut empêcher les enfants de se bagarrer ou les adultes de se mesurer physiquement, c’est exact. Mais on devrait refuser un système qui cultive ces élans primitifs en les organisant pour des exhibitions compétitives. Que des gamins jouent au foot dans le stade municipal ou se défient à la course pour savoir qui ira le plus vite de l’école à la mairie, soit ! Mais fallait-il que des machines financières énormes cultivent ces innocentes pulsions pour en faire des armes quasi guerrières ? Depuis toujours les dirigeants se sont satisfaits des joutes qui occupent le peuple (du pain et des jeux) mais ils sont entrés en connivence avec les commerciaux (fédérations sportives, médias, publicistes…) qui vivent de l’exhibition de héros fabriqués. Quelles limites à la dope, à la fraude, ou même au crime quand une chaîne de télévision peut s’assurer l’exclusivité des ébats d’un club de foot pour une somme démentielle (600 millions d’euros) ?

Le nationalisme aussi s’épanouit quand chaque nation prie pour le succès de ses candidats, c’est à dire pour l’échec des autres, sans qu’on explique alors ce qu’est cette appartenance commune , cette « identité nationale »qui vient d’hériter d’un ministère : un homme qui court vite est-il à honorer en sa nation parce que son être biologique vaut mieux que le sang impur des concurrents (mais alors en quoi un Marocain juste naturalisé pour ses « compétences et talents » est-il plus proche d’un « Français de souche » que d’un Ethiopien étranger? ) ? ou parce que l’esprit national, le savoir-faire ou la « culture » auraient permis sa victoire (mais comment accepter alors les entraîneurs étrangers, les méthodes de dopage universelles ou l’importation préméditée de futurs vainqueurs ?) ? Plutôt qu’aller de dope en dope au son des hymnes nationaux, mieux vaudrait interrompre la complicité des médias avec les affairistes du sport qui vivent de transformer des pulsions juvéniles en succédané culturel.