Thérapie génique : la grande illusion ?
Technology Review 3, 67-68, septembre-octobre 2007
Le point de vue de Jacques Testart
La recherche en médecine est depuis toujours intimement liée à la notion de « progrès de l’humanité ». Mais cette vision aveuglante fait oublier que la thérapie génique, tout comme les OGM, a tendance à réduire la complexité du vivant en l'assimilant à une sorte de Meccano dont on pourrait changer les pièces. En suscitant de faux espoirs, la thérapie génique pourrait conduire à un échec d’autant plus douloureux qu’il aura été coûteux.
La génétique moléculaire permet de modifier un animal ou une plante en lui conférant une certaine propriété inconnue dans son espèce. En manipulant le génome de la cellule initiale, il est possible de créer des « organismes génétiquement modifiés » (OGM). Cette technique porte le nom de transgenèse. Dans ce cas, toutes les cellules de l’organisme acquièrent cette modification dans leur ADN, et les cellules sexuelles peuvent alors la transmettre aux générations suivantes. Mais, dans le cas de l’espèce humaine, on peut aussi tenter de compenser un défaut génétique (mutation ou délétion) en introduisant dans les cellules de l’organe déficient un gène « normal »: c’est ce qu’on appelle la thérapie génique, laquelle reste localisée et non héréditaire (sauf si on modifiait les cellules procréatrices). Il s’agit donc de deux techniques bien distinctes. Les OGM créés par génétique moléculaire sont des êtres chimériques inédits puisque, par définition, le gène introduit (également appelé transgène) est issu d’un autre organisme avec lequel le receveur est incapable de procréer (exemples : fraise et poisson, homme et maïs,…). Au contraire, la thérapie génique réalisée dans le but de corriger l’ADN humain défectueux et de restaurer un génome « normal », n’est (en théorie) qu’une technologie très sophistiquée pour exercer la médecine - appliquer un traitement pour soigner et guérir une personne particulière. Pourtant, ces projets scientifico-commerciaux mettent en œuvre la même conception réductionniste du vivant, laquelle prétend que le génome serait détenteur du « programme » vital, alors qu’il n’est qu’une source importante d’informations, et ignore la complexité de tout être vivant en ramenant son fonctionnement à celui d’un Meccano auquel on pourrait ajouter telle ou telle pièce . La thérapie génique a été expérimentée pour des pathologies très diverses, depuis les cancers jusqu’aux maladies cardiovasculaires en passant par les myopathies ou la mucoviscidose. Pour cette dernière, par exemple, des dizaines de protocoles cliniques ont déjà administré à des malades divers vecteurs (viraux ou synthétiques) portant le gène normal. Mais l’expression du transgène demeure aléatoire et transitoire, ce qui oblige à répéter le traitement avec le risque d’induire une réponse immunitaire contre le vecteur lui-même.
Des thérapies risquées
Une nouvelle stratégie a été proposée il y a quelques années : puisque la mort naturelle des cellules ayant incorporé le transgène ruine l’effet initié, il faudrait plutôt modifier les cellules souches, lesquelles sont capables d’auto renouvellement. La transgenèse est alors effectuée ex vivo : c’est en réalité une thérapie cellulaire réalisée sur des cellules souches prélevées chez le patient puis réintroduites par autogreffe après correction génétique. Cette stratégie ne concerne actuellement que les maladies sanguines parce que des cellules souches (cellules hématopoïétiques de la moelle osseuse) peuvent alors être prélevées dans l’organisme du patient . Ceci explique l’engouement récent des chercheurs pour les cellules souches embryonnaires, totipotentes, ou pour le clonage thérapeutique, source de précurseurs cellulaires que l’on pourrait corriger avant de les transplanter dans divers organes du patient.
Du gène à la protéine active, il y a beaucoup d’imprévus dans le processus puisque même un gène « normal » peut générer une protéine pathologique – comme dans le cas des maladies à prion. Une thérapie génique, même « réussie », comporte le risque que le transgène s’insère à un certain emplacement sur un chromosome (locus) dont la proximité avec d’autres gènes peut entraîner des effets redoutables. Ainsi, chez 3 des 11 nourrissons traités pour déficit immunitaire à l’hôpital Necker, le transgène a provoqué une leucémie car il se serait inséré (avec son vecteur viral) à côté d’un proto-oncogène (gène favorisant un cancer) dont il aurait activé l’expression. La même manipulation réalisée ultérieurement sur des souris a permis de vérifier la haute fréquence de tels accidents puisque 30 % des animaux souffraient d’un lymphome 18 mois après la transgenèse . Contrairement à l’hypothèse initiale, chez l’homme, ce n’est pas le vecteur du gène mais le gène transféré lui-même qui induit alors la pathologie, et ceci sans relation avec l’endroit où il s’insère dans le génome. Dans d’autres essais, c’est le vecteur viral, pourtant supposé inactivé, qui a déclenché de graves affections. De plus, des interférences sont possibles entre des molécules exprimant le transgène et celles issues du gène « anormal » ou d’autres parties du génome, et les conséquences en sont imprévisibles.
Le prix Nobel de médecine a été accordé en 2006 à des travaux qui intéressent fortement l’industrie des biotechnologies et sont présumés révolutionner la thérapie génique, en particulier en l’élargissant aux maladies virales. Il s’agit du phénomène d’interférence de l’ARN par lequel la cellule bloque naturellement l’expression de certains gènes. D’une part, ce mécanisme expliquerait la réaction de l’organisme quand il reconnaît un transgène aberrant apporté par une thérapie génique. D’autre part, par l’injection de certains ARN (ce qui ne constitue pas réellement une thérapie génique puisque le gène ne contient pas d’ARN) on espère bloquer des infections comme le sida. Il reste que les premiers essais conduisent à des dysfonctionnements cellulaires chez les souris traitées.
Les OGM sont disséminés sans nécessité puisqu’ils n’ont pas démontré leur potentiel et présentent des risques réels pour l’environnement, la santé et l’économie. Ils ne sont donc que des avatars de l’agriculture intensive qui permettent aux industriels de faire fructifier les brevets sur le vivant. Au contraire, les essais thérapeutiques sur les humains sont justifiés quand ils sont la seule chance, même minime, de sauver une vie. Mais il est contraire à l’éthique scientifique (et médicale) de faire miroiter des succès imminents des uns ou des autres. Malgré la persistance des échecs, les tenants de la thérapie génique (qui sont souvent les mêmes que ceux des OGM) affirment que « ça va finir par marcher », et ont su créer une telle attente sociale que la « mystique du gène » s’impose partout, jusque dans l’imaginaire de chacun. Le succès constant du Téléthon démontre cet effet puisqu’à coups de promesses toujours réitérées, et grâce à la complicité de personnalités médiatiques et scientifiques, cette opération recueille des dons dont le montant avoisine celui du budget de fonctionnement de toute la recherche médicale en France . Cette manne affecte dramatiquement la recherche en biologie puisque le lobby de l’ADN dispose alors du quasi monopole des moyens financiers (crédits publics, industriels, et caritatifs) et intellectuels (focalisation des revues, congrès, contrats, accaparement des étudiants,…). Alors, la plupart des autres recherches se retrouvent gravement paupérisées - une conséquence qui paraît échapper aux généreux donateurs de cette énorme opération caritative… La thérapie génique pourrait, peut-être, finir par « marcher ». Mais peut-être, avec les OGM, apparaîtra t-elle finalement comme un gigantesque bluff, animé par des industriels et des chercheurs, et se nourrissant de la foi dans le progrès et de la détresse des familles affectées.
Références
J.Testart : Le vélo, le mur et le citoyen. Ed. Belin, 2006.
A. Fischer :Thérapie génique des déficits immunitaires. Médecine/Sciences, mai 1999.
N.B. Woods et coll : Nature, 27 avril 2006.