La Décroissance, n° 38, avril 2007

Ce début du 21° siècle amorce un véritable tournant anthropologique : les hommes des pays industrialisés retrouvent une relation à l’environnement qui évoque celle de leurs ancêtres. Tout a recommencé quand René Dumont s’évertuait à populariser l’écologie, il y a une trentaine d’années. Lui et ses proches étaient alors seulement tolérés comme des rêveurs idéalistes, parce que les enjeux étaient fortement sous-évalués. Peu avant l’an 2000, une proportion significative de la population commença à épargner les ressources naturelles, mais le plus souvent dans un souci d’économie domestique : c’est d’abord pour dépenser moins qu’on isola mieux les maisons ou qu’on choisit des véhicules plus économiques. Puis les atteintes au climat, aux espèces, à la bouffe… devenant des évidences qui confirment les prévisions, un authentique respect du monde qui nous abrite (la « Terre-Patrie ») vient de surgir, beaucoup étant disposés à investir dans des dispositifs d’économie d’énergie ou des modes de consommation propres, même si le coût de leurs investissements ne devait jamais être amorti. On peut voir là l’irruption grandissante de la conscience d’être partie du monde, de l’harmonie nécessaire des choses et des êtres, comme une réminiscence timide de la pensée animiste.


Pourtant persiste largement deux croyances. L’une est qu’une épargne conséquente des ressources serait compatible avec le système économique qui prétend régir les rapports humains par la compétitivité et la course au profit. Ce système , le néo-libéralisme, s’oppose à la convivialité, à des modes épanouissants de vivre ensemble, aux activités non marchandes et de service au public. L’ultime croyance est celle du « développement durable » qui repose largement sur l’utopie que des technologies appropriées seront forcément découvertes (1) afin de remédier à chaque déséquilibre créé par la Sainte Croissance. Une telle mystification est suicidaire mais elle permet d’ouvrir de nouveaux marchés où s’engouffrent les parvenus du néo-libéralisme. Elle laisse entendre que la croissance indéfinie des productions et consommations n’empêchera pas la survie de la planète et de ses habitants, malgré des symptômes précurseurs provoqués par un développement industriel délirant : multiplication des catastrophes, atteintes irréversibles à notre environnement, mais aussi augmentation dramatique du nombre des exclus…


De telles mutations très rapides font qu’on peut trouver simultanément toutes les combinaisons de ces deux croyances parmi les forces politiques qui prétendent aujourd’hui diriger la France. Les plus nombreux (UMP, UDF, PS, FN, majorité des Verts…) proposent à la fois l’économie libérale et sa fille naturelle, la croissance économique. Tandis que subsistent des « antilibéraux-croissants » (LCR, LO, PCF…) apparaissent de rares « libéraux-décroissants » (Yves Cochet). Si on pense que le sens de l’histoire est plutôt celui qu’indiquent les « antilibéraux-décroissants », il est encore très mal partagé puisque porté seulement par les partisans de José Bové… Est-ce un hasard si, dans le grand Monopoly politique, José va en prison sans passer par la case départ ?

(1) Les utopies technologiques, Global Chance, 2005