Dans une retentissante interview (Le Monde du 4-5 février), Didier Sicard, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), s’inquiète des tentations françaises pour l’eugénisme : il affirme que les justifications de l’interruption « médicale » de grossesse (IMG) sont de plus en plus laxistes et déplore un système de «pensée unique » qui, particulièrement en France, induit une « radicalité » dans « l’empêchement à naître ». Pourtant, l’eugénisme se porte aussi bien chez nos voisins (exemple : depuis 15 ans on peut, en Espagne, se débarrasser des futurs hémophiles…) et on pourrait plutôt craindre une mondialisation des tendances et pratiques eugéniques. En effet, la compétitivité économique (vers la Sainte Croissance) dépend de la santé et des aptitudes de chaque travailleur… Didier Sicard n’évoque pas la perspective eugénique révolutionnaire qu’ouvre le diagnostic préimplantatoire (DPI) , finalement agréé par le CCNE : l’ IMG (un seul fœtus ciblé, pénibilité physique et morale des actes,…) est peu eugénique en comparaison du DPI (sélection, au laboratoire, du « meilleur » parmi de nombreux embryons). Si, comme le découvre Didier Sicard, « le diagnostic prénatal vise à la suppression et non pas au traitement » ce n’est pas parce que les médecins refuseraient de soigner les fœtus ou les embryons, c’est qu’ils en demeurent incapables malgré tous les Téléthons, les cartes du génome et les Fêtes de la Science ! Ce qu’on sait faire, c’est seulement identifier des déviances génétiques grâce à la police moléculaire puis chasser l’ « anormal » en visant son éradication puisque que sa guérison est impossible.


Il y a 15 ans, j’avais été durement confronté à Pierre-André Taguieff à propos de mes craintes d’un nouvel eugénisme, et notre controverse avait culminé dans plusieurs numéros de la revue Esprit en 1994 (N° 199,200 et 207). Pierre-André Taguieff prétendait qu’il n’est d’eugénisme que par contrainte de l’Etat (comme sous le nazisme), niant le large consensus qui résulte de la peur des anomalies, de la croyance au tout génétique et de l’exigence de compétitivité. C’est à l’usage que la logique eugénique du DPI (où la purification génique est illimitée) devrait, malgré les désillusions -il n’y aura jamais d’enfant parfait- contribuer à une organisation sociale normative, à tendance totalitaire, même si ce mouvement est initié en démocratie et avec des bons sentiments. Comme je m’opposais au « progrès » par le DPI, Pierre-André Taguieff fut alors rejoint par la Nouvelle Droite pour conspuer mon « absolu immoralisme » relevant de « la démission médicale ou de l’obscurantisme » (Elements N° 76,1992)…Quelle surprise de retrouver Pierre-André Taguieff cité dans La Décroissance (février 2007) : notre intello, toujours néo-libéral, scientiste et donneur de leçons, craint que la décroissance amène à mettre en place « un système de contrôle impitoyable, et par exemple en finir avec la libre entreprise »… Voilà un philosophe qui s’inquiète davantage de protéger les activités industrieuses nécessaires à la croissance que de veiller sur l’humanité de l’homme!