La Décroissance, janvier 2007

Au lendemain de Noël, la télé rappela la bonne nouvelle : « Un immense espoir vient d’apparaître»… comme l’annonçait régulièrement le charlatan J. Crozemarie. Celui-ci s’est éteint avant d’avoir remboursé à l’Association pour la recherche sur le cancer (ARC) les sommes énormes détournées à son profit. Faut-il s’étonner que la charité publique, quand elle fonctionne bien, suscite l’escroquerie ? Faut-il s’étonner que nombre d’humains offrent leur obole à de riches mendiants qui prétendent lutter contre le mal ? On doit plutôt s’interroger sur le monde proposé par les marchands de santé, quand bien même ils seraient honnêtes.

Trois semaines plus tôt, à l’occasion du Téléthon, on a pu voir B. Barataud, pionnier de l’Association française contre les myopathies (AFM), brandir un petit tube bleu en s’exclamant : «L’AFM ça marche ! Ceci va guérir des maladies génétiques ! On vient juste d’obtenir l’autorisation pour les essais… ». Des essais comme celui-là se comptent déjà par dizaines dans le monde et chaque promesse a laissé place à une nouvelle annonce à l’occasion de chaque grande messe caritative.

Ce qui réunit l’ARC et l’AFM, par ailleurs en concurrence pour faire la manche, ce n’est hélas pas le succès des traitements, c’est la quête éperdue du diagnostic. Au point où un généticien connu a pu déclarer lors du dernier Téléthon que « la grande injustice c’est que certaines maladies sont identifiées et d’autres ne le sont pas… ». Guérir devient donc moins « juste » que savoir de quoi on meurt ! Les diagnostics concernent, bien sûr, l’enfant et l’adulte mais il se font de plus en plus précoces jusqu’à viser le « plus petit patient », l’embryon, et aussi de plus en plus larges jusqu’à vouloir identifier des risques de maladies qui, peut-être, n’arriveront jamais. Ainsi peut-on soumettre au tri génétique les embryons d’un couple « à risque » de cancer afin de n’établir la grossesse qu’avec un embryon « sain ». Le mirage télévisuel du « gène-médicament » sert encore à remplir les escarcelles mais l’impuissance persistante des thérapeutiques laisse toute la place aux contrôles d’identification, sans conteste performants, et pouvant s’étendre à l’infinité des caractéristiques estimées « défavorables ». Cette police du génome s’ajoute aux diagnostics non génétiques (par la chimie, l’histologie, l’imagerie,…) pour faire de la prophétie le grand chantier de la médecine moderne. Alors le nombre des patients augmente sans fin puisqu’il comprend tous ceux qui ne sont pas encore malades, dont beaucoup ne l’auraient jamais été. De plus en plus, chacun doit se conduire selon des prescriptions conformes à son horoscope génétique ou à l’état de ses organes (1).

Ainsi, sous prétexte d’objectif-santé se profile la mise en fiche et aux normes de tous les citoyens, sans prendre en compte le manque à vivre induit par l’observance des recommandations médicales, ni le rôle de l’industrialisation des villes et des champs , ou de la publicité, dans les pathologies. Comme toute consommation forcée, celle des « soins de santé » commence par la mise en spectacle d’une promesse, puis elle se nourrit de l’angoisse du manque et de l’utopie de paradis artificiels.

(1) J.Testart : Des hommes probables. Ed. du Seuil, 1999

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