Propositions de la Fondation Sciences Citoyennes

Les récents débats sur l’avenir de la recherche en France ont le plus souvent mis l’accent sur le manque de moyens et de postes de la recherche publique et sur la réforme des structures susceptibles d’améliorer la « productivité » de la science française.
Mais la crise de notre système de recherche, d’expertise et d’innovation est autrement plus profonde. Nos sociétés traversent trois transformations majeures qui sont autant de défis pour nos institutions de recherche et leurs rapports avec la société: d’abord la marchandisation de la science, des savoirs et du vivant, et l’exhortation à la « compétitivité » des chercheurs ; ensuite la montée des aspirations citoyennes avec l’émergence d’une « société de la connaissance disséminée » ; enfin l’entrée dans un monde fini où la science est amenée à jouer un rôle nouveau (principe de précaution, développement durable).
Face à ces trois mutations, il faut refonder notre système de recherche, autour d’un nouveau contrat avec la société. Ceci nécessite une recherche publique forte et dotée de moyens accrûs mais il s’agit aussi de transformer les orientations, les modes de décision, les pratiques d’expertise, et les rapports entre la recherche et la société.

Face au mono-partenariat avec l’industrie, il faut ouvrir la recherche sur la société.
Outre l’extension de la précarité et le pilotage de la recherche publique par les entreprises privées, la Loi de 2006 nie les besoins non lucratifs de la société et ne prévoit aucun dispositif pour démocratiser les choix scientifiques. Le gouvernement parle désormais de recherche « partenariale », et de « pacte avec la société »mais la « société » dont il s’agit, ce sont les entreprises, les conglomérats transnationaux qui diffusent des innovations de plus en plus coûteuses et de moins en moins utiles à la société. Des outils comme les pôles de compétitivité et le « crédit d’impôt recherche » sont actuellement particulièrement aveugles en n’évaluant pas la pertinence sociétale et écologique des projets et en donnant les clés du pilotage de la recherche publique au marché. Pourtant les besoins de recherche de la société incluent aussi et surtout la production de biens publics : connaissance ouverte, expertise plurielle et indépendante, innovation à but non lucratif ou pour des besoins sociétaux non solvables. Pourtant, la production de savoirs et d’innovations socialement utiles n’est plus l’exclusivité des institutions traditionnelles de recherche publiques ou privées : elle provient aussi du tiers secteur émergent de la connaissance et de l'innovation, c'est-à-dire d'une multitudes de collectifs (malades, paysans, consommateurs, communautés numérique en pair à pair, etc.) qui se prennent collectivement en charge dans la production de savoirs scientifiques et techniques et doivent être reconnus comme partenaires aussi légitimes de la recherche publique que les entreprises.

Une autre recherche est possible ! Elle exige :
• Le rééquilibrage des priorités de recherche en direction de domaines aujourd’hui retardataires en France : en particulier en santé publique et environnementale, agriculture biologique, chimie verte, recherches interdisciplinaires autour de la transition de nos modes de vie vers la durabilité, recherches en sciences humaines et sociales,…
• La réorientation des politiques d’innovation et d’incitation aux partenariats de R&D privé-public au profit de priorités sociales et environnementales claires, de préoccupations mondiales, d'innovations ascendantes et non propriétaires.
• La création de nouveaux dispositifs favorisant les partenariats de recherche entre laboratoires publics et acteurs sociétaux à buts non-lucratifs : Il faut que se multiplient des fonds et appels à projets de recherche associant un partenaire associatif et un laboratoire public, comme plusieurs régions, à la suite de l’Ile de France, ont commencé à le faire,
• Des dispositifs de démocratisation des choix scientifiques et techniques avec représentation paritaire des acteurs associatifs dans toutes les instances de pilotage de la recherche. Une «Conférence de Citoyens», couplée à une loi d’orientation, doit être organisée tous les cinq ans pour dégager les priorités nationales de recherche et d’innovation. Un droit de saisine par pétition citoyenne doit s’appliquer aux différentes instances de notre système d’expertise, de recherche et d’innovation.
• Une politique de propriété intellectuelle en faveur de la « science ouverte » : exclusion du vivant et des savoirs du champ du brevet, transition des journaux scientifiques vers des publications « open access », creative commons, etc.
• Une réforme du dispositif d’expertise en renforçant le modèle « agence d’expertise », en contrôlant les conflits d’intérêts des experts, en instituant le principe de contre expertise et en donnant un statut aux alertes sanitaires ou environnementales. Nous souhaitons aussi la création d’une Haute Autorité de la déontologie, de la transparence et de la qualité de l’expertise.

Favoriser le dialogue entre sciences et société, c’est libérer les chercheurs; maintenir l’opacité et la dépendance marchande, c’est enchaîner les chercheurs ! Ouvrons la recherche pour la sauver !